Une nouvelle réussite de René Jacobs

par

0126_JOKEREmilio
de CAVALIERI
(c.1550-1602)

Rappresentatione di anima e di corpo
Marie-Claude CHAPPUIS (Anima), Johannes WEISSER (Corpo), Gyula ORENDT (Tempo, Consiglio), Mark MILHOFER (Inteletto, Piacere), Marcos FINK (Mondo, etc.), Staatsopernchor Berlin, Concerto Vocale, Akademie für Alte Musik Berlin, dir.: René JACOBS
2015-DDD-1h32'52-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Livret en italien, français, anglais et allemand-Harmonia Mundi HMC 902200.01 (2 cd)

C'est en 1600, dans un monde qui ne connait encore ni l'opéra ni l'oratorio, qu'est créée cette extraordinaire Rappresentatione di Anima e di corpo qui, tout à la fois, innove et ouvre la voie à ces deux genres nouveaux, peu distincts au départ. S'il fut sans doute le premier, Cavalieri ne le fut que d'une courte tête car, très vite, Peri et Caccini – avec leurs Euridice concurrentes – lui emboîteront le pas tandis que, quelques années plus tard, Monteverdi apportera de façon définitive ses lettres de noblesse au genre de l'opéra avec son célébrissime Orfeo, joué la première fois en 1607. Mais il serait malvenu de considérer la Rappresentatione comme la première manifestation d'un type de musique totalement original. Elle relève en effet d'une double tradition: celle des laude, chants sacrés populaires qui apparurent au Moyen-Age en Italie, et celle des rappresentationi sacre, drames sacrés écrits à partir du XVème siècle dans l'esprit du théâtre antique, mêlant représentations costumées, épisodes profanes et musique, tant vocale qu'instrumentale, où, à partir du 16ème siècle, la forme madrigalesque s'imposera toujours davantage. On le voit, le spirituel et le théâtre se partagent encore la même partition et ce n'est que progressivement que ce genre se particularisera en oeuvres à destination exclusivement religieuse ou lyrique. En grande partie constituée de recitar cantando (déclamation chantée) basé sur des vers rimés, la partition aligne malgré tout un nombre remarquable d'ensembles, de choeurs et d'intermèdes instrumentaux (la partition conseille d'ailleurs le recours à « un grand nombre d'instruments »). C'est sans nul doute cette extrême variété qui lui donne cet attrait particulier et jamais démenti. Les éditeurs ne s'y sont d'ailleurs pas trompés et plusieurs versions ont déjà été proposées au mélomane: les pionniers Loehrer, Mackerras et Linde, Vartolo et Pluhar plus récemment, pour ne citer que les principales. Mais il semble bien que René Jacobs doive ravir la palme à ses collègues. Il est en effet difficile d'imaginer un résultat plus probant et enthousiasmant que celui proposé par notre compatriote qui sait rendre comme nul autre la luxuriance, le faste, la magnificence de cette musique. A la tête d'une équipe unie et homogène, il fait vivre chaque épisode avec un naturel peu commun tout en évitant avec maestria le piège du fractionnement trop net entre airs et ensembles: le tout coule comme un unique flot harmonieux et cohérent; sa longue fréquentation de l'opéra monteverdien n'est certainement pas étranger à cette magnifique réussite. A écouter toutes affaires cessantes.
Bernard Postiau

Son: 10 Livret: 9 Répertoire: 10 Interprétation: 10

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