Une passionnante plongée au cœur du Palais Garnier et de son histoire

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Palais Garnier. Un Opéra pour un Empire. Un film de Patrick Cabouat co-écrit avec Stéphane Landowski. Divers intervenants (historiens, dramaturge, architecte, conservateurs de musées). 2020. Notice en anglais et en français. Commentaire en français. Sous-titres en anglais, en coréen et en japonais. 90’. Un DVD Bel Air BAC184. Aussi disponible en Blu Ray.

La construction du prestigieux Palais Garnier se situe entre deux périodes-charnières de l’histoire parisienne du XIXe. Décidée par Napoléon III en septembre 1860, au temps des fastes du Second Empire, elle subit le déclin progressif du régime, avant un arrêt complet en septembre 1870, après la défaite française contre l’armée prussienne à Sedan, l’emprisonnement de l’empereur et la proclamation de la Troisième République, le chantier étant alors fermé. Celui-ci reprit après l’incendie, dans la nuit du 28 au 29 octobre 1873, de la salle de la rue Le Peletier, qui existait depuis 1821 et devant laquelle, le 14 janvier 1858, un attentat sanglant avait été mené contre Napoléon III, faisant de nombreux morts et blessés mais épargnant le chef de l’état. L’inauguration du Palais Garnier aura enfin lieu le 5 janvier 1875, par le général Mac Mahon, devenu président de la Troisième République.

Cette longue élaboration de près de quinze années se confond aussi avec celle de la vie de son architecte, Charles Garnier (1825-1899), né et mort à Paris, qui en sera le maître d’œuvre. A 23 ans, Garnier avait remporté le Grand Prix de Rome d’architecture, qui lui permit non seulement de découvrir l’art de la Péninsule, mais aussi d’accomplir de nombreux voyages d’études et de se nourrir d’architectures allemande et italienne, qu’il préférera à ce qu’il a vu en Angleterre. Lorsqu’un concours est lancé en 1860 pour un nouvel opéra, Garnier s’inscrit, malgré son inexpérience. Parmi la bonne quarantaine de candidats, dix-sept sont retenus dans un premier temps (avec la surprise de constater qu’Eugène Viollet-le-Duc n’a pas répondu à l’appel d’offre). Le projet de Garnier est finalement choisi pour son originalité visionnaire ; les premiers travaux de terrassement démarrent dès 1861. Ils révèlent vite des vices cachés, notamment de gros soucis dans les sous-sols gorgés d’eau. Toute la période qui va suivre, jusqu’à l’ouverture fastueuse en 1875, est pleine de contrariantes péripéties, dont des dépassements de dépenses qui font frémir Garnier lui-même.

Tout cela est raconté en abondance dans le présent film, aux images somptueuses, à l’aide d’images inédites, de vues imprenables, de reconstitutions avec des comédiens, d’archives picturales, de gravures d’époque, de dessins, de maquettes, de plans, de décors ou de photographies du spécialiste que fut Louis Emile Durandelle (1839-1917). Abondance aussi au sujet de la technologie et lors de la visite de tous les lieux de l’édifice : coulisses, aménagements techniques, espaces de réception, loges privées pour classes sociales élevées, structure métallique habilement dissimulée, foyer de la danse bien fréquenté par la gent masculine de l’époque, aménagement des peintures et des sculptures, étude des couleurs pour les différents espaces, extraordinaire grand escalier avec ses balcons suspendus… Une visite minutieuse qui s’effectue comme si l’on était sur place et qui émerveille à chaque instant : ce bâtiment-écrin est d’une fascinante beauté.

On découvre, dans le récit, maintes anecdotes sur l’élaboration du projet au cours des années, mais aussi, comme un inévitable leitmotiv, de multiples allusions au fameux « fantôme de l’opéra », imaginé par Gaston Leroux dans son roman à succès, paru en feuilleton en 1909 et en volume l’année suivante. Ce clin d’œil récurrent apporte sa part de fantaisie à une présentation dynamique au cours de laquelle des intervenants sont sollicités : Xavier Mauduit, historien spécialiste du Second Empire, Timothée Picard, dramaturge, spécialiste des liens entre littérature et opéra, auteur de La Civilisation de l’opéra. Sur les traces d’un fantôme (Fayard, 2016), Bertrand Lemoine, architecte, ingénieur et historien, ou encore Mathias Auclair, conservateur général à la BnF, directeur du département musique et directeur de la bibliothèque-musée du Palais Garnier, ainsi que deux conservateurs du Musée d’Orsay, et une autre des Beaux-Arts de Paris, Ces apports bien calibrés viennent alimenter et ponctuer un panorama des plus plaisants, qui rend un hommage bien mérité au Palais Garnier. Des séquences musicales, dont de trop peu nombreuses images d’opéras (mais ce n’était pas le sujet), agrémentent le visionnement. 

Ce documentaire de qualité est à mettre entre toutes les mains : il servira de belle introduction à une future visite de l’édifice ou rappellera à ceux qui l’ont déjà fréquenté à quel point la splendeur architecturale participe aussi de la joie procurée par la musique.

Une anecdote pour terminer : trop assimilé au Second Empire et à Napoléon III, Charles Garnier, installé en 1872 en Italie, mais revenu en France dès l’année suivante pour poursuivre les travaux et les mener à terme, subit l’affront de ne pas être invité à l’inauguration du Palais Garnier. Pour y participer, il dut lui-même payer sa place. Il fut néanmoins félicité de façon privée par le Président Mac Mahon, qui s’était sans doute rendu compte de l’incongruité de la situation. 

Note globale : 10

Jean Lacroix

Chronique réalisée sur la base de l’édition sur DVD.

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