A Genève, un somptueux Orchestre Philharmonique du Luxembourg

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Pour un unique concert à Genève, le Service Culturel Migros a invité l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg et le chef espagnol Gustavo Gimeno, son directeur musical depuis 2015. Avec un effectif dépassant la centaine de musiciens, le programme donné au Victoria Hall le 24 avril est conçu à la mesure de cette imposante formation et débute par une œuvre peu connue de György Ligeti, le Concerto Românesc datant de 1951 et imprégné de folklore roumain. Gustavo Gimeno y développe un chant nostalgique qu’exposent les cordes, suscitant l’envolée des bois en une danse exubérante. S’y enchaîne un Adagio ma non troppo qui fait appel aux cors naturels dialoguant avec le cor anglais et les bois en de pathétiques inflexions qu’assimilera le violon solo. La tension qui en résulte éclatera dans le Molto vivace conclusif dont l’effervescence le rapproche de la Première Rhapsodie Roumaine de George Enesco.

Intervient ensuite le multi-percussionniste autrichien Martin Grubinger qui occupe un quart de la scène avec une véritable cuisine d’instruments à percussion les plus invraisemblables jouxtant une batterie de jazz et trois timbales. Comme un sportif de haut niveau, avec un linge sur l’épaule, il court dans tous les sens, en changeant continuellement de baguettes pour présenter un ouvrage écrit sur mesure pour ses moyens, le Concerto pour percussion composé en 2017 par le musicien islandais Daníel Bjarnason et créé à Helsinki le 2 novembre 2022 par son dédicataire qui annonce qu’il quittera définitivement la scène le 30 mai 2023. Alors que l’orchestre tisse sans relâche un canevas atteignant divers sommets expressifs, le soliste nous fait découvrir le txalaparta, instrument basque proche du xylophone, dont une cascade de notes ramène le discours vers les timbales. Avec l’aide de deux collègues, est produit un roulement étrange entraînant dans son sillage le rituel des cloches cérémoniel et la progression vers un choral des cuivres. Mais c’est la percussion qui prend le dessus en nous confrontant à un univers qui s’écroule comme l’Inferno de Dante, d’où le titre donné finalement à cet ouvrage à nul autre pareil. Et le public applaudit la performance qu’a dû fournir le soliste durant une bonne demi-heure. 

La seconde partie de programme laisse le plateau à la disposition de l’orchestre au grand complet qui donne une interprétation magistrale de la Shéhérazade de Nikolaï Rimsky-Korsakov. A partir des accords initiaux, denses comme de véritables arches, le violon solo émet une sonorité ample comme un récit palpitant. Et Gustavo Gimeno fait se répandre une houle luxuriante comme une mer démontée, gouvernée néanmoins par un legato souverain. Le Récit du Prince Kalender confère au basson la liberté d’une improvisation que pimentent le hautbois et les cordes émoustillées par des inflexions dansantes qu’apaisera le violoncelle avant une brusque tension du tutti. Sur un pizzicato en pianissimo, le basson tente de calmer le jeu en suggérant les contrastes d’éclairage les plus subtils. Le jeune prince et la jeune princesse sont dépeints par les cordes amènes irradiées par les volatine insensées de la clarinette et de la flûte amenant un Più animato en finesse qu’iriseront les arpèges du violon solo. La Fête à Bagdad suscite d’aveuglants coloris que corsent les cuivres cinglants en débouchant sur une mer en furie qui écrase le vaisseau de Sindbad contre les rochers. Face au désarroi des cordes éplorées, le violon solo apporte une sérénité réconfortante… Et les spectateurs enthousiastes décernent des ovations nourries à ce concert de haut niveau !

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 24 avril 2023

Crédits photographiques : Marco Borggreve

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