A la découverte des œuvres symphoniques du Polonais Witold Maliszewski

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Witold Maliszewski (1873-1939) : Symphonies n° 1 en sol mineur op. 8, n° 2 en la majeur op. 12, n° 3 en do mineur op. 14 et n° 4 en en ré majeur op. 21. Ouverture joyeuse, op. 11. Scherzo et Ouverture en l’honneur de Schubert (complément à la Symphonie « Inachevée »). Conte de fée, op. 30. Légende, op. 31. Orchestre philharmonique d’Opole Józef Elsner, direction Przemyslaw Neumann. 2018-2020. Notice en polonais, en anglais et en russe. 197.32. Un album de trois CD Dux 1716/1718.

Né à Mohyliv-Podilski, une cité sur le Dniepr actuellement en Ukraine, le compositeur polonais Witold Maliszewski est le fils d’un clerc municipal exilé dans le Caucase pour avoir pris part à l’insurrection anti-tsariste de janvier 1863 déclenchée par la conscription forcée des Polonais dans l’armée russe ; son père décède alors qu’il n’a que six ans. Pour survivre, sa mère donne des leçons de piano. Le jeune Witold s’initie avec elle. Il apprend aussi le violon, joue dans un orchestre scolaire et devient accompagnateur au clavier. Il étudie dans le cadre d’une branche locale de la Société Russe de Musique sous la férule de Mikhail Ippolitov-Ivanov à partir de 1889, puis se rend à Saint-Pétersbourg pour poursuivre sa formation. Il y devient gradué en mathématiques, puis s’inscrit au Conservatoire où il se perfectionne notamment avec Nicolaï Rimsky-Korsakov, puis avec Alexandre Glazounov. Il prend alors la décision de se consacrer totalement à la musique, tout en enseignant dans un orphelinat où il donne des cours privés de mathématiques. Maliszewski compose déjà pendant ses études. Ses premières œuvres, comme la Symphonie n° 1, jouée à Saint-Pétersbourg en 1902, année de son mariage, sont appréciées par le public et par la critique. Il devient un membre actif du Cercle Belyayev, société de musiciens qui a choisi de porter le nom d’un mécène et réunit de 1885 à 1908 des compositeurs comme Rimsky-Korsakov, Liadov, Glazounov, Tcherepnin et quelques autres. Le groupe invite de temps à autre Tchaïkovsky ou Taneïev. Sa volonté est de s’inscrire dans la continuité du Groupe des Cinq et d’assurer le suivi de la musique nationale. C’est grâce à la générosité de Mitrofan Belyayev (1836-1903) que Maliszewski peut publier ses premières œuvres et se faire connaître. 

Il a aussi de la chance sur le plan professionnel : sur la recommandation des deux éminents professeurs qui l’ont formé, Rimsky-Korsakov et Glazounov, il décroche la direction du Conservatoire d’Odessa en 1908. Doué pour les tâches administratives, l’organisation de concerts, la direction d’orchestre et l’enseignement, il écrit aussi des traités théoriques. Après la révolution russe, il émigre et on le retrouve dès 1921 à Varsovie, où il est chargé au Conservatoire de la classe d’opéra, puis de celle des formes musicales et du contrepoint, jusqu’à son décès en 1939. Son élève le plus célèbre est Witold Lutoslawski ; ce dernier dira souvent qu’il a été « son seul professeur ». Maliszewski occupe d’importantes fonctions culturelles : entre 1925 et 1928, il est directeur de la Société Musicale de Varsovie, qui organise le premier Concours international Chopin pour piano dont Lev Oborin sera le premier lauréat. En 1934, il est co-fondateur de l’Institut Frédéric Chopin. Il occupera encore une fonction au Ministère de la Culture. Dès son retour en Pologne, il s’est remis à la composition, ses œuvres pouvant être partagées entre la première influence russe et la musique de tradition polonaise. Son catalogue comprend cinq symphonies, de la musique orchestrale, des ballets, des opéras, de la musique de chambre, des pièces vocales, sacrées ou pour le piano. Si sa musique n’est pas fréquemment enregistrée, on signalera toutefois une parution Dutton de 2016 où l’on retrouve la Symphonie n° 3 par le Royal Scottish National Orchestra dirigé par Martin Yates, couplée avec le Concerto pour piano par Peter Donohoe, ainsi que quatre CD publiés par Acte Préalable en 2018 : l’intégrale pour piano seul par Joanna Lawrynowicz et trois disques de musique de chambre. 

Le présent coffret a le mérite de proposer un panorama significatif de la production orchestrale de Maliszewski, et de souligner le fait que le compositeur s’inscrit dans une ligne postromantique des plus classiques, qui fait souvent penser à Glazounov, en tout cas dans les trois premières symphonies qui datent respectivement de 1902, 1905 et 1907. Le succès de la première, jouée en première audition à Pavlovsk le 19 juin 1902, n’est pas dû à la reconnaissance d’un style de création nouvelle, mais est la confirmation de l’inscription dans la ligne de la musique symphonique russe traditionnelle. Si Maliszewki maîtrise aisément la forme musicale ainsi que l’expressivité héroïque ou lyrique, il fait appel, notamment dans le quatrième mouvement Allegro grazioso, à un thème populaire. La notice, bien documentée et à laquelle le mélomane se référera, souligne aussi l’influence d’un thème lié à l’amour qui rappelle la fantaisie Roméo et Juliette de Tchaïkowsky. L’œuvre s’écoute sans déplaisir, mais aussi sans enthousiasme ; même si Maliszewski orchestre avec un art prometteur, on reste un peu sur sa faim quant à la capacité du discours narratif. La même impression est l’apanage des Symphonies 2 et 3, au cours desquelles le compositeur s’accroche aux traditions historiques, selon la formule reprise dans la notice et tirée d’un ouvrage sur l’histoire de la musique russe signé en 1955 par la musicologue Zofia Lissa (1908-1980) ; celle-ci précise qu’il vaut mieux « maintenir les formes courantes que se lancer dans un progrès qui n’aboutit qu’à de l’expérimentation ». On retiendra cependant le caractère joyeux, la virtuosité de la famille des bois et la facilité avec laquelle Maliszewski réutilise thèmes et motifs tout au long d’une Symphonie n° 2 dont l’Allegro con fuoco final ne manque pas d’ampleur. La Symphonie n° 3 apporte le plaisir d’un Adagio misterioso sous forme de rondo, et d’une série de thèmes et variations qui font la part belle aux instrumentistes. L’Ouverture joyeuse, de 1902 elle aussi, qui figure après la Symphonie n° 1 sur le premier CD, est une œuvre de démonstration qui déploie une belle palette de couleurs. Elle est dédiée à Glazounov, au moment où Maliszewski achevait ses études saint-pétersbourgeoises.

Le troisième CD apparaît comme le plus intéressant de cet album. Il transporte le mélomane vingt ans plus tard, après l’installation de Maliszewski en Pologne. La Symphonie n° 4 de 1923, sous-titrée « A la patrie nouveau-née et retrouvée », fait largement usage d’éléments de la tradition musicale polonaise. On a l’impression que le compositeur s’est libéré d’une influence russe un peu contraignante pour développer sa joie de retrouver des racines ancestrales, tout en célébrant l’indépendance récente de son pays. L’orchestration est colorée et diversifiée, avec des ajouts de percussions qui rythment le propos par de vives aspérités. Elle respire globalement un vrai bonheur de vivre qui va se manifester de manière débridée dans un vaste final festif, sous la forme d’un somptueux Allegro qui unit divers rythmes comme la valse, la mazurka et le krakowiak. Cette page fait parfois penser aux débordements symphoniques exubérants d’Ignaz Paderewski. 

Le Scherzo et Ouverture pour honorer Schubert de 1928 répond à l’appel lancé aux compositeurs du temps pour compléter l’Inachevée. En Pologne, le premier prix a été attribué à Czeslaw Marek (1891-1985), Maliszewski étant gratifié du second prix. Ce dernier a écrit un Scherzo et une Ouverture ; des thèmes de la Grande Symphonie n° 9 y sont largement utilisés, mélangés à la partition originale de la Huitième de Schubert. Le résultat est plutôt anecdotique et s’écoute avec curiosité. Plus intéressantes sont les deux pages de 1930. Le Conte de fée est destiné aux enfants, d’après un texte probablement rédigé par le compositeur lui-même, où il est question de forêt, d’oiseaux, de château doré et de jardin enchanté. Une œuvre descriptive qui utilise un groupe important de percussions : xylophone, célesta, glockenspiel… L’atmosphère est celle d’une musique à programme, que l’on découvre avec ravissement. La dernière page du coffret, la Légende, utilise du matériel musical de l’opéra-ballet Boruta dont le compositeur sortira aussi deux suites. Ce récit autour d’un diable, lui aussi destiné à un jeune public, s’inscrit dans la ligne des féeries chatoyantes de Rimsky-Korsakov, mais surtout de Liadov (Baba-Yaga, Kikimora). Le compositeur n’a pas oublié ses influences russes, les scènes de danse bénéficiant d’une orchestration très picturale. 

C’est assurément dans les œuvres de la période polonaise que l’on trouve le meilleur de l’inspiration de Witold Maliszewski. Les autres partitions pourront peut-être faire le bonheur des amateurs de raretés mais elles ne sont pas indispensables dans une discothèque ; il faut toutefois les considérer comme un jalon dans l’histoire de la musique du pays de Chopin. L’Orchestre Philharmonique d’Opole, ville du sud de la Pologne, a été fondé en 1952 ; le nom du compositeur, théoricien et pédagogue Józef Elsner (1769-1854), professeur puis ami de Chopin, lui a été ajouté en 1969. En l’an 2000, il a eu l’honneur d’être la seule formation polonaise à être invitée à Rome pour la célébration des 80 ans du pape Jean-Paul II. On se souviendra de son passage à Bruxelles en 2004. Il est dirigé ici par Przemyslaw Neumann (°1979), originaire de Poznán, qui est souvent à la tête de la plupart des orchestres de son pays et est directeur musical à Opole depuis 2015. Il s’est consacré en grande partie à la mise en valeur des compositeurs polonais méconnus. Il accomplit avec sa phalange, où excellent des instrumentistes de qualité, un travail soigné et généreux que l’on saluera pour son originalité et sa volonté de découverte du patrimoine national.

Son : 8,5 Notice : 10 Répertoire : 8 Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

 

 

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