A la Scala de Milan, une Fanciulla del West inédite

par

Depuis vingt-et-un ans, la Scala n’a pas remis à l’affiche La Fanciulla del West. Et le maestro Riccardo Chailly en profite pour présenter une version inédite, conforme au manuscrit original. Car pour la création du 10 décembre 1910 au Metropolitan Opera dont l’acoustique était trop sèche, Arturo Toscanini avait dû renforcer l’orchestration de certains passages et pratiquer de nombreuses coupures ; aujourd’hui, sont réinsérées 125 mesures, notamment au premier acte, et 1000 corrections de plus ou moins grande importance. Et l’œuvre acquiert un caractère plus tendre et plus nuancé en atténuant les pulsions sanguinaires de plusieurs personnages.Robert Carsen développe sa mise en scène comme un western. Ayant en mémoire un énorme bar, découvert à Londres, que Buffalo Bill avait transplanté en Amérique, il en tire l’idée d’une salle de cinéma où Jack Rance et ses hommes assistent à un long métrage, style My Darling Clementine avec Henry Fonda, Linda Darnell et Victor Mature. A la fin se profilent sur l’écran les plaines arides du Grand Canyon ; comme l’Annie Oakley d’Annie Get Your Gun, paraît Minnie, le colt en main, entraînant dans un nouveau film tous ces pauvres diables de mineurs auxquels elle fait le catéchisme. La trame poursuit normalement son cours jusqu’au dernier tableau où l’enseigne du cinéma propose ‘The Girl of the Golden West’. La boucle est ainsi adroitement bouclée.
Dès les premières mesures, éruptives comme une lave incandescente, Riccardo Chailly arbore la volonté énergique de l’artiste qui révèle le génie d’une œuvre en faisant scintiller les pépites d’une orchestration géniale, ce que restitue scrupuleusement l’Orchestre de la Scala. Le chœur masculin (préparé par Bruno Casoni) se coule dans le même moule. Succédant à Eva-Maria Westbroek, la soprano néerlandaise Barbara Haveman semble d’abord en retrait avec un bas medium qui manque de consistance ; mais l’aigu est sa carte maîtresse, ce qui dynamise un personnage qui finira par émouvoir. Optant depuis quelques saisons pour des rôles de fort ténor, Roberto Aronica possède la stature d’un Dick Johnson convaincant de bout en bout. L’inscrivant dans la lignée de son Barnaba de La Gioconda, Claudio Sgura campe un Jack Rance rongé par une jalousie viscérale mais esclave de sa fonction de sheriff. Dans cette version originale prennent une tout autre stature des personnages comme Nick, le tenancier de ‘La Polka’, Ashby, l’agent de la Wells Fargo, Larkens, le mineur, et le peau-rouge Billy Jackrabbit (incarnés par Carlo Bosi, Gabriele Sagona, Romano Dal Sovo et Alessandro Spina). Une indéniable réussite !       Paul-André Demierre
Milan, Teatro alla Scala, le 21 mai 2016

Les commentaires sont clos.