A l’Opéra de Paris, Lohengrin pour les voix et l’orchestre

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Le metteur en scène russe, Kirill Serebrennikov, signe un synopsis qui « remplace » celui de Richard Wagner dans le programme. Le propos de la mise en scène -Le Délire (Acte 1), La Réalité (Acte II) et La Guerre (Acte III)- dénonce à juste titre l’enfermement et le combat mais n’a aucun rapport avec Lohengrin.

Elsa devient « une jeune femme » indéterminée, Lohengrin une vision, le couple Ortrud et Telramund d’inquiétants psychiatres. Quant au Roi Henri, il est présenté comme « Souverain » sans autre précision simplement flanqué d’un Porte-parole (le héraut).

L’Ouverture s’accompagne d’un film où l’on suit un jeune homme aussi fascinant qu’énigmatique qui marche dans une forêt puis se baigne nu, dévoilant des ailes d’ange tatouées dans le dos (Gottfried, le frère perdu d’Elsa ?).

L’indéniable talent du cinéaste se dilue malheureusement ensuite dans une profusion d’idées et d’images. La transformation d’un décor en sept parties, puis une seule (un hangar glauque où se marient à la hâte des soldats avant de repartir au front) comme les déplacements d’ensemble assez statiques trahissent la difficulté de soutenir jusqu’au bout des idées peu cohérentes et encore moins novatrices.

En outre, la différence entre l’œil d’une caméra et la spatialisation d’un plateau d’opéra s’accuse, si bien que la parcellisation (la scène / puzzle) atteint ses limites.

Sachant que, dès sa vingtième année, le compositeur prit un soin extrême à l’élaboration et la rédaction de ses livrets, il faut une certaine dose d’inconscience pour en ignorer la trame, lui en substituer une autre, tout en conservant les textes chantés et la musique.

Du légendaire Lohengrin (1845), il ne reste ainsi que le spectacle d’une femme maltraitée et une esthétisation des armes d’autant plus discutables que gratuites, basées sur la complicité implicite d’un public voyeur. Ce dernier manifestant sa réprobation au moment des saluts.

La défense de Richard Wagner revient à l’orchestre et aux chanteurs. Mené avec grâce par la baguette attentive, admirablement théâtrale d’Alexander Soddy, l’orchestre rutile, rugit, murmure dans une montée en puissance dramatique où l’aura de rêve et de poésie propre à Lohengrin a laissé place à la détermination.

De même, les chœurs en grands effectifs répondent à fond aux sollicitations du chef mais s’exposent tout autant (son d’ensemble parfois hétérogène, nuances rares sans parler des demi-teintes).

Kwangchul Youn prête au personnage d’Henri l’Oiseleur une autorité aussi paisible que solide.

Magistral Lohengrin, bien que privé de son cher Cygne et vêtu en treillis, Piotr Beczala impressionne par son aisance, son endurance, son rayonnement vocal.

Face à lui, la soprano Johana van Oostrum sait exprimer avec sensibilité la vulnérabilité de la Princesse de Brabant. Autour d’elle convulsent des danseuses/ doubles (chorégraphie d’Evgeny Kulagin) et des infirmières sadiques armées de perfusions sans que la ligne de chant en soit affectée.

Après avoir incarné notamment une Isolde de légende, l’immense Nina Stemme fait frémir la salle captivée par l’ampleur cuivrée de la courbe vocale jusqu’aux imprécations finales plus anarchiques en adéquation avec le rôle.

Son alter ego dans la noirceur et le crime, Wolfgang Koch, en blessé de guerre, dose savamment le mélange de lâcheté, d’abandon et d’audace qui caractérise le prétendant au trône.

Le Porte-parole (héraut) sonore de Shenyang semble fort content de lui et les seconds rôles peuvent l’être également. Les lumières et vidéos sont très sollicités (Franck Evin et Alan Mandelshtam) comme les cuivres qui interviennent fièrement à différents niveaux des balcons et entrées.

Bénédicte Palaux Simonnet

ONP Bastille, le 27 septembre 2023

Crédits photographiques : Charles Duprat-ONP

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