À l’Opéra de Rouen, une belle distribution dans le rare Tancrède de Rossini

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Le premier opera seria du jeune Rossini, Tancrède est si rare en production mise en scène qu’on se précipite dès qu’on l’annonce dans la programmation. C’est le cas, dans cette saison, de l’Opéra de Rouen Normandie qui a réalisé une belle distribution dans la version de Ferrare avec la fin tragique.

Réunir des chanteurs et chanteuses virtuoses et de surcroît comédien(ne)s qui satisfassent pleinement aux exigences de la partition est un véritable défi. La rareté de Tancredi que Rossini a composé dans sa jeunesse (il avait à peine 20 ans), inspiré de la tragédie homonyme de Voltaire (1760) tient-elle à cette difficulté ? L’Opéra de Rouen Normandie a récemment comblé le bonheur des lyricophiles dans une distribution qui a révélé de belles voix. La soirée de la première, le triomphe revient à Marina Monzó dans le rôle d’Aménaïde, l’amante de Tancrède condamnée à mort pour une trahison qu’elle n’a pas commise. La soprano espagnole, qui a fait ses débuts en 2016 dans La Somnambule à Bilbao, a été formée dans l’Académie Rossini de Pesaro et une habituée du festival de la même ville. Autant dire qu’elle a déjà un bagage solide du répertoire et c’est ce dont elle a fait preuve. Elle fait conjuguer le sens tragique et la fragilité par la souplesse alliée à la puissance, dans un timbre à la fois brillant et sombre. Colorature minutieuse, elle est émouvante dans son personnage malheureux. À ses côtés, la mezzo Teresa Iervolino taille un Tancrède à la hauteur du drame sans jamais oublier la délicatesse. Sa projection un peu en retrait par rapport aux autres personnages est largement compensée par l’investissement entier dans son rôle. L’autoritaire Argirio, le père d’Amenaïde, est exprimé par la surprojection du ténor Santiago Ballerini. Nous imaginions un timbre plus sombre et pesé pour ce rôle presque dictatorial, mais sa voix solaire et juvénile s’acclimate à son caractère, malgré quelques flottements sans pour autant déstabiliser l’ensemble. La couleur et l’ancrage profonds de la basse Giorgi Manoshvili conviennentt parfaitement à Orbazzano, à qui Argirio promet la main de sa fille. Enfin, Juliette May (révélation artiste lyrique aux dernières Victoires de la musique classique), bien que son apparition en Isaure soit limitée, fait preuve de beaux phrasés naturellement dessinés.

Le metteur en scène Pierre-Emmanuel Rousseau dessine également la scénographie et les costumes d’une très grande beauté esthétique. Sur le noir de la croisade s’ouvre de temps à autre l’or de l’Église, qui exerce un effet. Mais à sa énième répétition, on commence à attendre une ouverture plus conséquente (un dégagement du décor noir à la fin par exemple) qui n’arrive finalement pas. Il en va de même pour la procession des religieux. Quant aux détails dans les mouvements des personnages finement placés, on ne peut cependant pas dissiper le sentiment que cela se diffuse dans l’ensemble assez figé et répétitif. À quoi s’ajoute la question de la finition technique : la grande croix qu’on voit au début bascule légèrement quand les personnages s’y appuient. Plus d’un spectateur se sont  sans doute demandé si la croix allait tomber ou non en symbole possible de la chute d’Amenaïde…

George Petrou, qui a remplacé dans la fosse Antonello Allemandi à la fin de la répétition, mène de main de maître l’orchestre de l’Opéra de Rouen qui, au début parfois timide dans les timbres, prend de l’ampleur tout au long de la représentation. Le chœur Accentus/Opéra de Rouen Normandie, constitué cette fois exclusivement de voix d’hommes, très homogène, est également en grande forme, malgré quelques décalages qui se sont rattrapés rapidement.

Les trois représentations ont été dédiées à Ewa Podleś, grande chanteuse rossinienne disparue le 19 janvier dernier.

Rouen, Opéra de Rouen Normandie, le 12 mars 2024

Victoria Okada

Crédits photographiques : © Marion Kerno / Agence Albatros

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