A l’OSR, une création de Michael Jarrell  

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Sous le titre ‘Première Mondiale’, l’Orchestre de la Suisse Romande a ouvert sa saison 2023-2024 au Victoria Hall de Genève le 4 octobre dernier. Effectivement, ce premier concert comportait une création du compositeur en résidence Michael Jarrell, interprétée par l’artiste en résidence, le clarinettiste suédois Martin Fröst.

Emanant d’une commande de l’OSR associé aux orchestres du Capitole de Toulouse, de Tokyo et de São Paulo, Passages est donc un concerto pour clarinette et orchestre à très large formation qui commence par un solo développé comme une incantation sur un canevas mystérieux innervé de brèves figures mélodiques qui se condensent pour parvenir à un premier tutti. L’instrument soliste produit alors des formules interrogatives qui en viennent à exacerber le discours. Mais un duetto avec la harpe sert d’accalmie avant une montée en puissance entraînant de cinglantes déflagrations qu’atténuera le glockenspiel pour faire place à une séquence méditative conçue comme un andante rasséréné. Les cuivres menaçants suscitent une suite de trilles de la clarinette ramenant la lumière sur un final dont Martin Fröst accentue l’éclat par des traits échevelés d’une virtuosité ahurissante sur l’ensemble de la tessiture. Devant le succès remporté par cette création, succès qui émeut profondément le compositeur, le clarinettiste fait appel à Jonathan Nott et à l’Orchestre afin de proposer en son honneur un bis qui est une brève page écrite par son frère, Göran Fröst, et intitulée Klezmer Dance n.2, éblouissante démonstration de la maestria du soliste.

Précédemment, Jonathan Nott avait inscrit au programme l’une des premières pièces électroacoustiques de György Ligeti, Apparitions, orchestrée à la fin des années cinquante. Selon les dires du compositeur, elle est la réalisation sonore d’un rêve de l’enfant qui se voit pris dans une énorme toile en soie où sont suspendus des objets inertes et des créatures fantastiques. Le lento initial suggère un climat étrange où le tremolo pianissimo des registres graves élabore une progression en strates successives striée par le pizzicato des cordes. Trombones, tuba et percussion propulsent le discours vers un tutti véhément des seconds violons, violoncelles et contrebasses, contrebalancé par le murmure presque imperceptible des premiers violons. L’imbrication de tous ces éléments disparates portera cette polyphonie au paroxysme avant de retomber dans le silence.

Surprenante idée d’y faire contraste avec Fêtes, le deuxième volet des Nocturnes pour orchestre de Claude Debussy ! Vu la disponibilité des voix féminines du Chœur de la Haute Ecole de Musique de Genève qui aurait pu se charger de Sirènes, l’on ne peut que regretter que le triptyque complet n’ait pas été présenté. Jonathan Nott se contente donc de Fêtes, conçu comme une débauche de coloris, laissant apparaître un cortège trop proche qui n’a pas la moindre dimension mystérieuse, vite absorbé par un tourbillon orgiaque sans contrastes d’éclairage. 

En seconde partie, radical changement de décor avec le Requiem op.48 de Gabriel Fauré, œuvre qui touche particulièrement Jonathan Nott puisque, avec un autre garçon, il a chanté le Pie Jesu à Birmingham, alors qu’il avait douze ans. Il recourt à la deuxième version de 1893 comportant une formation réduite à quatre alti, quatre violoncelles, deux contrebasses, timbales et orgue auxquels s’ajoutent deux bassons, deux cors, deux trompettes et trois trombones. Avec le concours du Chœur de chambre de la Haute Ecole de Musique de Genève, il développe, pour l’Introït et le Kyrie, un legato large appuyé sur la profondeur des cordes graves. L’Offertorium est nimbé de ferventes demi-teintes que cultive le baryton James Atkinson au timbre clair dans un Hostias extatique. Le Sanctus fait appel à un violon solo à la sonorité grêle, que les cuivres effaceront avec le Hosanna. Deux garçons de la Maîtrise du Conservatoire populaire de musique, danse et théâtre, Ulysse Liechti et Ismaël Villarraga, égrènent un Pie Jesu angélique, auquel répond le registre suave des ténors dans un Agnus Dei émouvant, touchant le paroxysme expressif dans la séquence Requiem aeternam. Le Libera me est développé par le baryton en une ligne magnifique entraînant soprani et orgue dans un In paradisum détaché de toute contingence. Respectueux, le public attend un signe de tête du chef pour applaudir à tout rompre cette magnifique exécution.

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 4 octobre 2023

Crédits photographiques : Magali Dougados

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