Acis et Galatée de Lully : première mondiale inégale en vidéo

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Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Acis et Galatée, pastorale héroïque en trois actes et un prologue. Jean-François Lombard (Acis), Elena Harsányi (Galatée), Valeria La Grotta (Diane/Deuxième Naïade/Scylla), Sebastian Monti (Apollon/Le Prêtre de Junon/Télème), Luigi De Donato (Polyphème) ; quatre danseurs ; Orchestre et Chœurs du Mai musical florentin, direction Federico Maria Sardelli. 2022. Notice et synopsis en italien et en anglais. Sous-titres en italien, en anglais, en français, en allemand, en japonais et en coréen. 112’00’’. Un DVD Dynamic 37971. Aussi disponible en Blu Ray. 

En ce début de septembre 1686, le château d’Anet, ancienne résidence de Diane de Poitiers, est en effervescence : son propriétaire, le duc de Vendôme, va y recevoir le Dauphin pour quelques jours. Des réjouissances sont annoncées, la plus fastueuse étant la création de la nouvelle œuvre lyrique de Lully, Acis et Galatée, qui va être la dernière achevée par le compositeur : il mourra six mois plus tard dans les circonstances que l’on sait. Ce n’est pas Philippe Quinault qui est chargé du livret, ce collaborateur de haute qualité ayant jeté l’éponge après Armide. Il est alors fait appel à Jean Galbert de Campistron (1656-1713), de douteuse réputation en raison de ses mœurs libres, le comte de Saint-Simon ayant même fait de lui, dans ses Mémoires, un portrait peu flatteur. Ce proche du Duc de Vendôme, en fait son secrétaire, écrit néanmoins un livret bien adapté au genre de la pastorale héroïque. La première représentation a lieu le 6 septembre, après la chasse ; quatre autres seront programmées dans les sept jours qui suivront, avant une reprise dans la salle parisienne du Palais Royal. Mais Louis XIV ne souhaita pas l’entendre. Lully avait cependant composé une partition légère et animée, qui faisait la place tout aussi belle au chant qu’à la musique.

Il existe deux remarquables versions sur disques d’Acis et Galatée ; celle, prioritaire, que Marc Minkowski dirigeait en 1998 à la tête des Musiciens du Louvre pour Archiv Produktion, et, tout récemment, celle des Talens Lyriques menés par Christophe Rousset (notre article du 5 décembre 2022). La présente première vidéographique comble un vide sur le plan de l’image : elle vient rejoindre ce qui était déjà disponible dans ce domaine (Cadmus et Hermione, Persée, Phaëton, Atys, Armide…) grâce à une production mise en scène par Benjamin Lazar, filmée le 9 juillet 2022 dans la Salle Zubin Mehta du Théâtre du Mai musical florentin, la cité natale de Lully lui rendant ainsi hommage plus de trois cents après sa disparition. 

L’intrigue s’inspire d’un épisode du Livre XIII des Métamorphoses d’Ovide. Le berger Acis est amoureux de la néréide Galatée, ce qui déclenche la fureur du cyclope Polyphème. Lorsqu’il les surprend, ce dernier écrase le malheureux Acis sous un rocher. Désespérée, Galatée fait appel au dieu Neptune, qui transforme Acis en fleuve, permettant ainsi la réunion des deux amants. Il est aussi question dans l’action de l’aventure sentimentale des bergers Scylla et Télème, celui-ci n’étant payé en retour que de mépris. 

Hélas, la production florentine est inégale, plutôt naïve, et frôle même parfois la banalité. La mise en scène du Français Benjamin Lazar, loin de la réussite du Bourgeois gentilhomme à Versailles en 2005 ou de Cadmus et Hermione en 2008, manque d’inspiration créative et d’une conception affirmée et originale ; elle se contente d’une avancée peu avantageuse pour les chanteurs. La banalité est dans les décors, les mêmes tout au long du prologue et des trois actes, à savoir de grands arbres alignés en fond de scène qui symbolisent une forêt, devant laquelle des tableaux peints sont déposés (de petits ensembles de nature), l’un d’entre eux servant même d’espace à l’Acte III pour les deux rôles principaux. L’œil n’est guère satisfait, il ne l’est guère plus devant l’ameublement assez sommaire qui consiste en tables et chaises qui pourraient provenir d’une brocante, estrade/escabeau y compris, où Polyphème peut s’installer pour vociférer. Les costumes disparates et d’époques diverses, entre modernisme et simulacre d’antiquité (quelques voiles bleus diaphanes et évanescents), sont du même acabit. Les lumières sont correctes, sans plus. Quant au jeu d’acteurs, il est raide et stéréotypé (de nombreux mouvements des mains écartent les protagonistes plutôt que de les rapprocher), ce qui aboutit à une gestuelle peu naturelle et, surtout, en manque de communication. L’esthétique tourne à vide, et ce dès le prologue, censé célébrer la gloire de Louis XIV, mais qui, teinté d’ironie, propose plutôt une action détachée au sein de laquelle Diane, Apollon, Comus ou L’Abondance ont l’air de se demander ce qu’ils font là. On n’a dès lors en fin de compte que deux voies d’issue pour apprécier cette pastorale héroïque : le chant et la musique. 

Le plateau vocal mérite que l’on s’y attarde, même s’il souffre, nous l’avons dit, du peu d’inspiration du metteur en scène. Le haute-contre Jean François Lombard, qui s’est déjà distingué dans Monteverdi, Cavalli, Rameau et Lully (Cadmus et Hermione à l’Opéra-Comique, avec le Poème Harmonique de Vincent Dumestre) est un Acis à la technique sûre, à la fois délicat et dynamique, à la belle ligne de chant, attentif aux mots. Sensible (Faudra-t-il encore vous attendre ?) ou torturé par le chagrin et le doute, il convainc sans peine. La soprano Elena Harsányi, qui a déjà chanté Purcell, Rameau ou Mozart, et dont la voix, si elle n’est pas puissante, est bien projetée, dévoile une grande expressivité dans le rôle de Galatée. Quand elle est confrontée à Polyphème à l’Acte I, dans la chaconne de l’Acte II (Qu’une injuste fierté) ou lors de la scène 7 de l’Acte III qui lui est dévolue (Que ne puis-je expirer après ce coup funeste ?), lorsqu’elle clame son désespoir, elle adopte un ton juste et frémissant. On n’est pas déçu par l’apparition du cyclope Polyphème, laid comme on l’espère : immense sur des chaussures compensées, avec un masque et des vêtements rouges et noirs qui traduisent sa néfaste différence. La basse Luigi De Donato, un habitué du baroque, mais aussi de Rossini, Verdi et Puccini, est idéal pour ce rôle, avec sa voix sombrement profonde et une fureur assumée. 

L’autre « couple » unit Valeria La Grotta en Scylla (elle incarne aussi Diane et la Deuxième Naîade), en alternance de froideur et d’énergie, à Sebastian Monti (qui est en plus Apollon et le Prêtre de Junon), plein d’ardeur déçue. Les autres protagonistes, notamment la soprano Francesca Lombardi Mazzulli, dont on retient le timbre flatteur dans les trois rôles qui lui sont attribués (L’Abondance, Aminte, Première Naïade), tirent bien leur épingle du jeu, de même que les chœurs du Mai Florentin. On notera que le niveau de l’émission de la langue française est de bon niveau, le Français Jean-François Lombard s’imposant sans peine dans l’exercice. Par contre, on n’accordera aux quatre danseurs, affublés des voiles bleus, qu’une satisfaction relative : c’est la conséquence d’une chorégraphie qui manque elle aussi d’imagination. 

Reste la musique, inspirée, colorée, imaginative, faisant la part belle à un détachement ironique qui sous-tend le drame avec efficacité. Federico Maria Sardelli est en situation : il dirige les musiciens du Mai florentin de façon fluide, vive et ludique. Il utilise même à de multiples reprises une canne « à la façon de Lully », avec laquelle il scande le tempo en frappant le sol, effet qui amuse au départ, malgré le bruit sourd qu’il entraîne, mais finit par lasser à force de se répéter. Le tout est joué sur instruments d’époque, ce qui ajoute de la verdeur et du mordant. 

On peut conclure de tout cela que la première mondiale en vidéo d’Acis et Galatée aurait mérité une bien meilleure inspiration globale pour l’aspect scénique et que, dans ce domaine, on est en droit d’attendre une autre proposition. On peut bien sûr oublier l’image et se contenter de la qualité du chant et de l’interprétation musicale. Mais pour cela, il y a déjà en CD les versions mentionnées plus avant. Autant leur laisser la priorité. 

Note globale : 6,5

Jean Lacroix

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