Asmik Grigorian chante les Quatre derniers Lieder de Strauss

par

Richard Strauss (1864-1949) : « Laws of Solitude ». Quatre derniers lieder (versions orchestrale et piano/chant). Asmik Grigorian, soprano ; Markus Hinterhäuser, piano.  Orchestre philharmonique de Radio France, direction : Mikko Franck. 2022 et 2023. Livret  en allemand, anglais et français- Texte chanté en allemand. 44’15. Alpha 1046

Sous le titre énigmatique « Laws of Solitude », Asmik Grigorian présente ici un enregistrement des Quatre derniers Lieder de Richard Strauss dans sa version orchestrale originale suivie d’une version arrangée pour le piano par d’autres musiciens (Max Wolff et John Gribben). 

Dans le livret illustré de photos en clair-obscur, de graffitis mathématiques et dessins d’enfants, la soprano lituanienne qui, depuis 2006, soulève les passions sur scène avec les opéras de Verdi et de Puccini notamment, nous explique qu’elle se sent moins seule lorsqu’elle chante avec des partenaires tels le chef d’orchestre Mikko Franck et le pianiste Markus Hinterhäuser.

Elle a porté son choix sur le sublime testament du compositeur de La Femme sans ombre, du Chevalier à la rose, d’Elektra et Salomé. Datant de 1948, il couronne le véritable journal intime de toute une vie traduite en Lieder.

Assimilant les mouvements contraires de l’imaginaire musical du XIX e et début XXe siècle, le compositeur les porte à un accomplissement qui se veut Adieu.

D’une beauté fulgurante, ailée, concrète, le cycle est inspiré par le poème Abendrot de Joseph von Eichendorff (1788-1857) cher à Schumann et Hugo Wolf. Trois textes d’Hermann Hesse (1877-1962) y conduisent à travers une nature grandiose et menaçante typiquement germanique.

Ce répertoire est souvent couplé avec les Wesendonck Lieder de Wagner car Strauss s’est effectivement immergé dans l’univers du maître de Bayreuth pour s’en dégager, le faire sien, le sublimer, non plus dans la révolte et la fascination du néant mais dans la paix la plus intime.

Éperdument fasciné par la voix, en particulier féminine, comme par celle de l’orchestre, c’est à elles qu’il confia son ultime chef-d'œuvre. Créé par Kirsten Flagstad, les plus grandes interprètes s’en empareront, de Kiri Te Kanawa à Elisabeth Schwarzkopf ou Jessye Norman.

Ici, le disque, court (à peine 45’), présente la singularité d’une confrontation.

L’exercice permet à la chanteuse de déployer l’éventail de ses possibilités vocales et expressives qui sont admirables mais est-ce suffisant ?

Tout d’abord, les Lieder avec orchestre offrent d’emblée une vision à la fois détaillée et fondue qui sertit admirablement le chant. Asmik Grigorian s’y révèle aussi percutante que tendre. L’orchestre l’enlace, l’emporte en une dynamique aérienne. La voix-oiseau semble littéralement se jouer de la pesanteur, rire, en échos avec les interventions instrumentales solistes, pour s’apaiser et se fondre dans le bercement primordial. Le Philharmonique de Radio France sous la conduite de Mikko Franck s’y montre sous son meilleur jour.

Dans une deuxième partie, avec clavier seul, la voix se corse, se teinte de véhémence, allonge les phrasés, vise un point d’impédance différent de celui de l’émission avec orchestre. Le piano anguleux met à nu des accents plus incisifs au détriment d’une diction allemande parfois confuse et accentue la dimension ténébreuse évoquée par la présentation. Peu mis en valeur par l’arrangement, le piano lui-même sonne rêche et se montre parcimonieux en émotions. Quant au postlude final, il se situe aux antipodes de la version originale. Faut-il y voir un parti-pris de « modernité » ?

Si la version arrangée pour piano apparaît comme une curiosité, celle avec orchestre, voulue par le compositeur, reste définitivement la seule.

Bénédicte Palaux Simonnet

Son 10 – Livret 8 – Répertoire 9 – Interprétation 10

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