Festival Prokofiev à Bozar 

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Plus de 70 ans après son décès, le grand Prokofiev est mis à l’honneur d’un petit festival de 3 jours au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Du jeudi au dimanche, différentes facettes du grand musicien sont ainsi illustrées avec des concerts, des conférences et même un happening avec de l'électro pour un concept présenté comme déconstruisant Prokofiev... Mais le grand intérêt de ce festival est de proposer des œuvres bien moins connues aux côtés de tubes. Certes, le public jeune et moins jeune pouvait entendre Pierre et le Loup et le Concerto pour violon n°1, mais aussi les Symphonies n°2 et n°6 ainsi que les suites du Pas d’Acier et de Chout. Au final, on pointait une majorité d'œuvres rares, voire très rares au concert. 

En ouverture d’une soirée de samedi contrastée avec un concert symphonique et un happening mêlant Prokofiev et DJ, le Antwerp Symphony Orchestra proposait la Symphonie n°6 sous la baguette d’Osmo Vänskä. La venue de l’immense chef finlandais en Belgique est déjà en soi un événement et la Symphonie n°6 est une œuvre fascinante par son ton tragique en angoissé.  Osmo Vänskä en livre une lecture noire et dramatique, d’une portée mahlérienne dans la tension qu’elle véhicule. Sa direction tend l’arc dramatique avec d’emblée un premier mouvement sombre, angoissé et traversé d’orages instrumentaux. La masse orchestrale est toujours parfaitement lisible avec une idéale mise en avant des interventions solistes (superbe vents). Le second mouvement poursuit cette tragédie avec un superbe galbe des cordes et des vents magistraux avant que le final, faussement joyeux, explose dans le cataclysme conclusif. L’Antwerp Symphony Orchestra livre une prestation magistrale tant dans ses tutti que dans ses individualités. On sent les musiciens en osmose totale avec leur chef d’un soir. 

Le lendemain, c’est le Belgian National Orchestra qui est sur scène sous la baguette de l’excellent Stanislav Kochanovsky, l’un de ses chefs invités réguliers avec lequel il aime explorer des œuvres méconnues ou rares. En introduction de ce concert donné sans entracte : le Concerto pour violon n°1 par Sergej Krylov. Si dans ces colonnes, on regrette trop souvent le style uniforme de tant de musiciens, on est ici à mille lieues de toute standardisation et fadeur. Sergej Krylov prend la partition à bras le corps, avec une énergie et un charisme musical phénoménaux. La maîtrise technique est stupéfiante et bien évidemment le Scherzo - vivacissimo central est un grand moment de pyrotechnie musicale où le violoniste peut tout se permettre. On admire aussi une projection de son, à la fois précise et généreuse. Parfaitement secondé par le BNO attentif au festival de couleurs et de nuances, Sergej Krylov porte la partition au triomphe et le public en redemande. Soliste, chef et orchestre décident alors de rejouer le second mouvement s’assurant un nouveau triomphe.

Mais le mélomane curieux était venu pour écouter la Suite du Ballet Chout “Le Bouffon”, fruit d’une commande des célèbres ballets russes de Diaghilev en 1921. En 12 morceaux, la suite est du grand Prokofiev : une science de l’orchestre magique avec des couleurs débauchées et des rythmes anguleux. On sent tout de même l’envie d’en mettre plein la vue façon Stravinsky. L’orchestre piaffe, rigole, ripaille dans un festival instrumental de haut vol qui vire au feu d'artifice dans son final. L’énergie et la rythmique n'ont ici rien à envier à Petrouchka ou au Sacre du printemps. Stanislav Kochanovsky assure une interprétation maîtrisée dans sa mise en place et ses équilibres. Le Belgian National Orchestra est au taquet et tous les pupitres s’illustrent avec une envie de jouer communicative. 

Le public a bien répondu présent pour ces deux concerts de haut vol dont la programmation sortait judicieusement des sentiers battus. On en redemande ! 

Bruxelles, Palais des Beaux Arts, 3 et 4 février 2024 

Pierre-Jean Tribot 

Crédits photographiques : Marin Driguez et Joel Larson

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