Kavakos/Wang, une très heureuse surprise !

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A priori, un duo entre Leonidas Kavakos et Yuja Wang semblait tenir du mariage entre la carpe et le lapin, tellement il était permis de se demander comment l’austère et rigoureux violoniste grec allait pouvoir s’assortir au jeu extraverti, voire carrément sportif, de la pétulante pianiste chinoise.
Le Grand Auditorium de la Philharmonie de Luxembourg était donc bien rempli pour entendre les deux musiciens se confronter aux sonates pour violon et piano de Brahms, répertoire exigeant s’il en est.
Dès les premières mesures de la Première sonate, il fut clair que l’on avait affaire ici à une interprétation de haute tenue de la part de deux musiciens de très grand talent, Yuja Wang révélant un talent de chambriste qu’on n’avait que trop peu eu l’occasion d’apprécier dans ses enregistrements jusqu’ici. La façon dont cette pianiste de poche, juchée sur de vertigineux talons qui ne devaient pas faciliter son contrôle de la pédale, se montra capable de canaliser son irrépressible énergie, faisant preuve d’une étonnante délicatesse quand la musique le demandait, mais aussi -comme dans le développement du premier mouvement de cette sonate ou dans le final, Presto agitato, de la Troisième sonate- d’une véritable force sans brutalité s’avéra remarquable, d’autant que le couvercle du Steinway était grand ouvert. (Malheureusement, son jeu se fit assez tonitruant par moments dans l’Allegro initial de la Troisième sonate.)
Quant à la prestation de Kavakos tout au long de cette exigeante soirée, elle n’appelle que des éloges. Quel plaisir d’entendre un violoniste au style si personnel et intéressant à tous points de vue, refusant les charmes faciles de la séduction immédiate et préférant interroger sans relâche et constamment creuser cette musique si riche. Après avoir salué son irréprochable justesse, il convient de s’attarder plus encore sur sa superbe conduite d’archet, ainsi que sur sa capacité à faire sans cesse chanter la musique, tant par le soin et l’imagination de son articulation que par son recours à différents types de sonorité, parfois intentionnellement voilée ou ténue, et son usage si intelligent du vibrato, totalement en rupture avec le style “grand violon” ouvertement émotionnel qu’on entend souvent, mais dosé ici avec parcimonie -voire totalement absent- selon les besoins de la musique, comme il le fit si bien dans l’Allegro amabile qui ouvre la Deuxième sonate.
Pour différents qu’ils soient, violoniste et pianiste firent preuve tout au long de la soirée d’une très belle qualité d’écoute réciproque, et on attend avec le plus grand intérêt la sortie de leur enregistrement consacré aux trois sonates de Brahms (Decca).
Patrice Lieberman
Luxembourg, Philharmonie le 2 avril 2014

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