La Flûte enchantée à La Monnaie : Peut-on tout se permettre avec Mozart ?

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La mode du "Regietheater" a envahi les scènes lyriques et on ne s'étonne plus des approches tarabiscotées, politico-érotiques ou non, qu'appliquent nos modernes metteurs en scène aux chefs-d'oeuvre du répertoire. Il est vrai que ceux-ci en ont vu d'autres et qu'ils sont plus résistants qu'un opéra inconnu. La Traviata, Tosca, ou Pelléas et Mélisande ont connu pareils avatars et s'en sont tirés. Qu'en est-il de Mozart ? On ne compte plus les Don Giovanni ou les Cosi fan tutte "modernisés".

Cette fois, c'est au tour de La Flûte enchantée de passer à la caisse et de payer le tribut. Non, pas de kalachnikovs, pas de salle de bains ou de cuisine, pas de bannières syndicales. Mais une soumission totale de la partition aux fantasmes du metteur en scène, Roméo Castellucci. Tout le premier acte se déroule derrière un voile de gaze, les solistes, quasi immobiles, sont habillés de blanc, et chantent devant la rampe. Les dialogues sont omis. Pas de serpent, pas de miroir, pas de clochettes, rien : de plus en plus de plumes, tout est blanc pâle, crémeux jusqu'à l'écoeurement. On se croirait au Crazy Horse. L'esthétisme a ses limites. En plus, chaque personnage est dédoublé (sauf la Reine de la Nuit) et il y a même quatre dames. Pourquoi ? Tout cela conduit à beaucoup de confusion et - pire - à l'ennui, ce qui est un comble pour Mozart.

Tout change au second acte. Le décor est lugubre, banal et sale. Cette fois, les dialogues sont remplacés par des interventions, d'abord de mamans tirant leur lait ; suivent cinq aveugles, puis cinq grands brûlés, chacun racontant ses épreuves. Tout cela est très long et l'ennui persiste. L'orchestre attend et l'on cherche désespérément un rapport avec le livret.
Raide comme un piquet, Sarastro déclame ses deux airs et la Reine de la nuit hurle sa vengeance en vidant un tetra-brik de lait.

Un peu avant les épreuves, la Reine accouche de plusieurs enfants-adultes, qui se rangent à ses côtés.  In fine, Papageno déridera un peu le public durant son célèbre duo avec Papagena (qu'on rencontre ici pour la première fois). La Reine de la Nuit, seule, conclut le spectacle en vidant un néon rempli de lait. Comprenne qui pourra. On reste sans voix devant un pareil traitement d'une des plus belles inspirations mozartiennes. Trop, c'est trop ! Le pire, c'est l'ennui, oui, mais aussi l'incompréhension que doivent ressentir ceux qui viennent pour la première fois à l'opéra et ne connaissent rien à l'histoire. Comment leur expliquer une telle approche ? Castellucci pose des questions sans aucune réponse.

Heureusement, le mélomane a des raisons de se réjouir. La distribution (celle de la création, car il y en a deux) est superbe. Le couple de héros domine, avec une Sophie Karthäuser divine (quel Ach ich fuhl's !) et le Tamino ravissant d'Ed Lyon. Le beau Sarastro de Gabor Bretz manquait sans doute un peu de graves assurés mais Sabine Devielhe rayonnait en Reine plutôt inquiétante. Charmant Papageno de Georg Nigl, et exquise Papagena d'Elena Galitzkaya, ancienne lauréate du Concours Reine Elisabeth. Formidable trio des dames : Tineke Van Ingelgem, Angélique Noldus et Esther Kuiper. Le grand mélodiste Dietrich Henschel a prêté son legato à l'Orateur, et Guillaume Antoine et Yves Saelens ont séduit en prêtres et en hommes armés. Le Monostatos d'Elmar Gilbertsson était en situation.

Les choeurs de Martino Faggiani - invisibles- ont parfaitement chanté, et l'orchestre de La Monnaie, sous la direction vigilante d'Antonello Manacorda, a bien soutenu les solistes dans cette aventure improbable et conduite à bonne fin musicalement. Mozart a gagné !

Bruno Peeters

Bruxelles, Théâtre Royal de La Monnaie, le 18 septembre 2018.

Crédits photographiques : B.Uhlig / Théâtre royal de La Monnaie.

La Flûte enchantée est l'événement majeur de la rentrée à Bruxelles. Crescendo-Magazine vous propose deux avis, sur les deux distributions. Lisez ici l'avis de notre rédacteur Olivier Vrins.

 

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