Les chorégraphes de Diaghilev (2): Georges Balanchine

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"J'ai voulu devenir français, mais les Français ne m'ont pas accepté. J'ai voulu devenir danois et ce fut le même refus. Je n'ai pas eu plus de chance avec l'Angleterre. On voulait bien que je m'établisse dans un pays, mais impossible d'en obtenir le passeport !

Heureusement l'Amérique est venue à moi, sous les traits de Lincoln Kirstein qui m'a proposé de fonder une compagnie de ballet aux Etats-unis. J'ai refusé ... à mon tour. Je voulais d'abord fonder une école. Et Kirstein m'a aidé, avec le financier Edward M.M. Warburg et Vladimir Dimitriev, à créer la School of American Ballet, d'où sont sortis l'American Ballet puis le Ballet Caravan, le Ballet Society et enfin le New York City Ballet".  

Cette dernière compagnie, qui heureusement survit à son fondateur, a pris ce nom du Théâtre du City Center qui, le 11 octobre 1946, devient sa résidence officielle. Le théâtre n'était pas grand, malgré ses trois mille places. La scène, les locaux de répétition surtout et les loges étaient mal adaptés aux exigences d'un homme qui avait été formé à l'école du Théâtre Mariinsky, là où Pavlova, Preobrajenska et Nijinsky (pour ne citer qu'eux) ont appris la grande leçon du style.

Ainsi, année après année, Balanchine n'eut de cesse d'obtenir une salle mieux équipée pour répondre aux besoins de sa troupe, avec la générosité de la ville de New York et de tous ses mécènes, car à cette époque l'Etat n'aidait en rien les artistes aux Etats-Unis.

"Le State Theater est exactement ce que je souhaitais. Les danseurs y sont chez eux, car ils y passent à peu près toutes leurs journées, pour ne pas dire toute leur vie ! Les loges sont de petits appartements et les salles de répétitions sont aérées et spacieuses. Pourtant rien n'est parfait. Surtout pas l'homme... qui n'est jamais content. Quand nous étions au City Center, je me sentais responsable. Chaque soir, avant de partir, je faisais le tour des loges, pour surveiller si toutes les lumières étaient bien éteintes. Il n'y a pas de petites économies et j'ai toujours préféré dépenser notre argent à acheter des chaussons pour les danseuses plutôt que de laisser brûler l'électricité toute la nuit ! Au State Theater, tout est trop grand pour que je surveille tout. Et puis... désormais je garde mes forces pour d'autres exercices que celui de gardien !"   

Cet immense théâtre est un des fleurons du grand complexe de théâtres qu'est le Lincoln Center, sur Broadway, à la hauteur de la 63e rue. Avec le Metropolitan Opera, l'Avery Fischer Hall (l'auditorium du New York Philharmonic), son théâtre de répertoire et l'immense Bibliothèque des Arts -médiathèque et cinémathèque- il compose un instrument de travail incomparable pour les artistes, les créateurs et les interprètes. Et Georges Balanchine en a été un des concepteurs, un des animateurs les plus fabuleux.

"Je dois tout à Diaghilev qui m'a ouvert les yeux et m'a prouvé ce dont j'étais capable. J'avais 24 ans quand il m'a invité dans les rangs des Ballets Russes, à la fois comme danseur et comme maître de ballet, puis très vite comme chorégraphe. Comme il n'aimait pas discuter avec les responsables lyriques de la saison monégasque, c'est à moi qu'il a confié ce travail. C'est ainsi que j'ai du créer L'Enfant et les sortilèges de Ravel, pour ne citer que cet exemple. Mais c'est lui surtout qui m'a présenté Igor Stravinski. Nous avons travaillé ensemble pour Apollon Musagète et nous ne nous sommes plus quittés, sur le plan de la création. Mon frère Igor m'a permis de progresser en musique, m'a donné le goût de découvrir des musiciens nouveaux, des musiques nouvelles".

Non seulement Balanchine a suscité des partitions, a obligé les compositeurs à s'intéresser au ballet, mais surtout il a permis à des générations d'Américains d'abord, puis d'Européens et aujourd'hui de Japonais, d'accepter cette aventure auditive qu'est la musique d'aujourd'hui.

"Tout ce que la musique d'aujourd'hui possède d'agressivité est en quelque sorte gommé par la danse, adouci par l'oeil. Puisque l'émotion d'un spectacle se partage entre l'oeil et l'oreille, le ballet a donné à la musique dodécaphonique, par exemple, comme un passeport de bon compagnonnage. Ainsi des ballets sur Webern ou sur les dernières compositions de Stravinski ont toujours eu autant de succès que Le Lac des Cygnes ou Casse-Noisette".

Antoine Livio. Coordination Bernadette Beyne. 

Crédits photographiques : Portrait of Ringling Circus choreographer George Balanchine: Sarasota, Florida / 1942 / State Library and Archives of Florida.

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