Concertos pour clavier de CPE Bach, suite de l’intégrale de Michael Rische

par

Carl Philipp Emanuel BACH (1714-1788) : Concertos pour clavier et orchestre Wq. 11, Wq. 24 et Wq 43/4. Michael Rische, piano ; Berliner Barock Solisten. 2020. Livret en allemand et en anglais. 57.07. Hänssler HC 19041.

Né à Leverkusen en 1962, Michael Rische a grandi à Düsseldorf, où son père était responsable de la bibliothèque des collections d’art. C’est dans cette cité qu’il a entamé ses études musicales, avec Max Martin Stein pour le piano et Milko Kelemen pour la composition. Sur le plan discographique, il s’est d’abord attaché à Beethoven, avant de passer à Debussy ou Ravel, puis à des compositeurs du XXe siècle attirés, comme lui-même, par le jazz. Il a ainsi signé, déjà pour Hänssler, un album de deux CD où l’on retrouve des concertos de Gershwin, Copland, Honegger, Schulhoff, Antheil et Ravel. On trouve des gravures de ce spécialiste des cadences improvisées chez EMI, Universal ou Sony, mais encore chez Hänssler, où Michael Rische a aussi enregistré Mozart, Hummel ou Brahms. Depuis une dizaine d’années, il se penche sur la cinquantaine de concertos pour clavier laissés par Carl Philipp Emanuel Bach, une série dont plusieurs gravures sont déjà parues chez Hänssler. En voici un nouveau volume.

La production pour le clavier de Carl Philipp Emanuel Bach est impressionnante. On dénombre plus de trois cents œuvres, dont la moitié sont des sonates. Deux des concertos présentés ici datent de la période berlinoise du compositeur, respectivement de 1743 pour le Wq.11 et de 1748 pour le Wq.24. Le premier est nourri de l’expressivité et de la profondeur que le musicien distille la plupart du temps dans ses créations. Peu à peu, il se détache de l’influence du Cantor et tente de trouver un nouveau langage, que l’on peut considérer comme en avance sur le style galant, plein de grâce et d’insouciance, et que réussira si bien son plus jeune frère Johann Christian. La place accordée au piano soliste y est importante, avec des cadences d’une souple inventivité. Dans le Wq.24, la part de lyrisme est plus présente ; cette fois, l’ornementation en est plus soulignée, et la cadence se situe uniquement dans le Largo central. Michael Rische aborde ces partitions séduisantes avec une grande liberté dynamique qui tient compte tout autant de la finesse du matériau mis à sa disposition que de la perspective ainsi ouverte. Dans la notice de présentation qu’il rédige, Michael Rische souligne le fait qu’après avoir enregistré près d’une vingtaine de concertos de CPE Bach, il n’oublie pas que le compositeur disait qu’il écrivait avant tout pour lui-même, et que pour cette raison il se permettait d’exploiter les ressources qu’il estimait nécessaires ; il rappelle aussi qu’il bénéficia de l’admiration de Haydn, Mozart et Beethoven. C’est sans doute pour les rythmes diversifiés que l’on découvre, les modifications de tempo et cette impression irrésistible d’improvisation, qui traversent ces pages avec tant de conviction.

Le troisième concerto de ce programme fait partie de la série des six de 1771 ; CPE Bach est à Hambourg et va y demeurer une vingtaine d’années au cours desquelles il va occuper une place essentielle dans la vie culturelle et se produire souvent en public. Il attire même des intellectuels du temps, ainsi qu’en atteste un texte reproduit dans l’ouvrage Les fils de Bach de Marc Vignal (Paris, Fayard, 1997, p. 311). Il s’agit d’un extrait du livre de 1773 The Present State of Music in Germany de Charles Burney (1726-1814), compositeur et musicologue anglais : « Hambourg ne possède actuellement aucun musicien de valeur hormis le maître de chapelle Carl Philipp Emanuel Bach, mais il vaut à lui seul des légions ! J’avais déjà depuis longtemps examiné avec le plus grand plaisir ses œuvres élégantes et originales, et elles avaient fait naître en moi un si violent désir de le voir et de l’entendre qu’il n’a pas fallu d’autre tentation musicale pour m’attirer dans cette ville. » Le Concerto Wq. 43/4, quatrième de la série, est selon Michael Rische le premier dans l’histoire de la musique à être en quatre mouvements. Etonnante partition, l’une des plus courtes de CPE Bach : elle ne dépasse guère les douze minutes en tout, mais se révèle d’une grande inventivité, avec un thème qui se retrouve dans les deux Allegro assai placés en tête et en fin du concerto. Les mouvements sont enchaînés, ou plutôt forment un ensemble unique en un seul élan.  Michael Rische signale avoir trouvé à CPE Bach un successeur au XIXe siècle dans la structure du Concerto n°1 de Liszt. CPE Bach fera de cette page aux harmonies audacieuses où l’on pressent Mozart une version pour piano solo. Michael Rische, dont le toucher est à la fois élégant et expressif, ajoute ainsi un nouveau fleuron à un projet qui, lorsqu’il sera achevé, sera sans doute un apport important à la discographie de ce fils de Bach supérieurement doué. Les Berliner Barock Solisten, fondés en 1959 par des membres de la Philharmonie de Berlin, ont été conduits jusqu’en 2010 par Rainer Kussmaul. A partir de 2014, ils ont de plus en plus collaboré avec Reinhard Goebel qui est devenu leur directeur musical. Leur compréhension de l’univers sonore de CPE Bach et leur complicité avec Michael Rische font partie de la réussite de cet enregistrement, qui met bien en évidence le piano. Il a été effectué dans les tout premiers jours d’octobre 2019, à Berlin, dans la Jesus-Christus-Kirche.

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

  

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