Les concertos pour piano de Reinecke, un romantisme assumé

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Carl Reinecke (1824-1910) : Concertos pour piano et orchestre n° 1 en fa dièse mineur op. 72, n° 2 en mi mineur op. 120 et n° 4 en si mineur op. 254. Simon Callaghan, piano ; Orchestre Symphonique de Saint-Gall, direction Modestas Pitrénas. 2021. Notice en anglais, en français et en allemand. 76’ 00’’. Hyperion CDA68339.

Le catalogue du pianiste, compositeur et chef d’orchestre Carl Reinecke, originaire d’Altona, à l’ouest de Hambourg, est impressionnant (288 opus). Il couvre tous les genres dont, sur le plan orchestral, trois symphonies, des ouvertures et divers concertos, notamment pour la harpe, la flûte ou le violoncelle. Excellent interprète du clavier, applaudi en particulier dans Mozart, il a effectué des tournées dans toute l’Europe. Il a laissé quatre concertos pour piano dont Gerald Robbins ou Michael Ponti se sont faits les défenseurs, en particulier du premier, dans les années 1970, Klaus Hellwig en gravant l’intégrale au milieu des années 1990 pour CPO avec la Nordwestdeutsche Philharmonie dirigée par Alun Francis. Le présent album, le 85e de la collection du label Hyperion « The Romantic Piano Concertos », en propose trois, composés entre 1860 et 1900.

Longtemps élève de son père, le pédagogue Rudolf Reinecke (1795-1883), le jeune Carl obtient de premiers succès d’interprète dans les pays scandinaves, puis séjourne à Leipzig où il rencontre Mendelssohn et Schumann, avant d’être engagé à la Cour de Copenhague. C’est ensuite Weimar où il se produit avec Liszt, et Paris, où il fait la connaissance de Berlioz. Il occupe divers postes avant de devenir, en 1860, et pour trente-cinq ans, chef d’orchestre du Gewandhaus de Leipzig (Nikisch lui succédera), tout en enseignant au Conservatoire de la cité. Parmi ses élèves, on relève des noms prestigieux : Grieg, Sullivan, Stanford, Albéniz, Bruch… C’est lui qui dirigea en 1869 la version intégrale du Requiem allemand de Brahms. Reconnu et respecté, indéfectiblement attaché à la tradition romantique, Reinecke s’est montré réticent à l’évolution de la musique, notamment à celle de Wagner. 

Les trois partitions ici enregistrés s’inscrivent tout à fait dans la grande tradition. Le Concerto n° 1, opus 72 de 1860, année où Reinecke prend son poste à Leipzig, est le plus réussi. La notice bien documentée de Jeremy Nicholas précise qu’aux dires du compositeur, cette œuvre fut écrite « rapidement et avec beaucoup de concentration » pour s’occuper pendant qu’il était seul, dans l’attente d’un logement qui pourrait accueillir sa famille. Reinecke en assure lui-même la création le 24 octobre 1861. Bâti selon les trois mouvements classiques, ce concerto fait appel à une virtuosité équilibrée, avec un début d’Allegro assez sombre qui s’épanouit bientôt en mode majeur avec un rythme bien amené. Le piano est vif et alerte, la cadence est brillante, l’orchestre sonne avec fierté. L’Adagio ma non troppo qui suit propose un superbe dialogue du piano avec le violoncelle, ce dont se souviendront Brahms et Tchaïkowsky. Quant à l’Allegro con brio final, intensément lyrique, il opte pour un climat de plus en plus expansif pour aboutir à une coda pleine de vitalité. Une demi-heure de réel bonheur pianistique, qui a fait dire aux commentateurs que Reinecke annonçait Grieg, dont l’unique concerto pour piano viendra huit ans plus tard.

Le Concerto n° 2, l’opus 120 de 1872, peut-être moins marquant, présente cependant une belle atmosphère chambriste dans l’Andantino quasi allegretto central qui est une plage de sérénité après un Allegro nerveux. Le troisième mouvement apparaît un peu comme un clin d’œil malicieux : cet Allegro brillante prolonge avec efficacité les échanges entre le piano et les bois de l’Andantino avant de s’achever dans l’effervescence. Faisant l’impasse sur le troisième concerto, le présent album est complété par le Concerto n° 4, l’opus 254 de 1900, plus court (moins de vingt minutes) et plus concentré. À 76 ans, Reinecke est toujours créatif. Son orchestration est riche : clarinettes, bassons, flûtes, hautbois, cors et trompettes par deux fournissent au piano un écrin qui demeure toujours ancré dans le passé et fait songer aux pages de Mendelssohn et de Schumann. L’audition en est plaisante, le compositeur conservant la capacité de faire chanter des thèmes lyriques ou enjoués.

Au panthéon des grands compositeurs, Carl Heinrich Carsten Reinecke se situe juste sous la barre de la notoriété reconnue. Mais seulement juste en dessous. Nous entérinons volontiers cette précision du signataire de la notice, tout en saluant l’interprétation du présent album qui joue à fond la carte de la séduction. Le pianiste anglais Simon Callaghan (1983), dont nous avons déjà souligné les qualités dans des pages de compositeurs britanniques (nos articles des 15 juillet et 10 décembre 2022), déploie une facilité et un brio auxquels il ajoute la part de lyrisme et de raffinement nécessaire. Bien soutenu par la phalange suisse de Saint-Gall menée avec finesse par le chef lituanien Modestas Pitrénas, il donne de ces concertos aux accents purement romantiques une excellente version qui nous fait regretter que la démarche éditoriale n’ait pas englobé le troisième concerto. Quoiqu’il en soit, les amateurs de raretés seront enchantés.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 8,5  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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