Les symphonies de chambre de Weinberg sont à l’honneur à Minsk

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Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) : Symphonies de chambre pour orchestre à cordes n° 1 op. 145 et n° 3 op. 151. East-West Chamber Orchestra, direction Rostislav Krimer. 2018. Notice en anglais. 58.16. Naxos 8. 574063.

Né à Varsovie où il étudie au conservatoire, Mieczyslaw Weinberg obtient son diplôme en 1939. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il se réfugie seul en Biélorussie. Ses parents et sa sœur seront exterminés en Pologne, au camp de Trawniki. Le jeune musicien se perfectionne en composition à Minsk et écrit une première œuvre symphonique en 1941. Mais il doit fuir à nouveau, en raison de l’invasion allemande : il s’installe à Tachkent, en Ouzbékistan. Bientôt, il fera la connaissance de Chostakovitch qui le fera venir à Moscou avec son épouse, et entretiendra avec lui une amitié de trente ans. La suite de l’existence de Weinberg est celle que l’on peut imaginer dans la Russie soviétique, entre frustrations, humiliations, rejet et méconnaissance. Il composera une œuvre abondante, dont un légitime regain d’intérêt mesure la véritable importance depuis une quinzaine d’années. Dans ses partitions, la présence des cordes est une constante : leur utilisation subtile, plaintive, complexe ou saisissante est une composante essentielle.

Même si le séjour de Weinberg à Minsk n’a duré que deux ans, il est hautement symbolique de constater que le premier enregistrement d’une formation constituée en 2015 dans la capitale de la Biélorussie est consacré précisément à deux de ses quatre symphonies de chambre, la première, de 1940, ayant été écrite dans cette ville. L’East-West Chamber Orchestra réunit une série de solistes internationaux, principalement polonais, russes, biélorusses, allemands et issus des pays baltes. Il a été fondé par le pianiste et chef d’orchestre Rostislav Krimer (°1980), collaborateur de longue date de l’altiste russe Yuri Bashmet (°1953) ; ce dernier a créé en 2006 un festival international qui porte son nom. La phalange se consacre surtout à la musique de notre temps et à un nouveau répertoire. On est heureux de découvrir cette formation cosmopolite dont la notice de ce CD propose des photographies de plusieurs membres.

Cet enregistrement est un hommage aux deux années biélorusses de Weinberg. Il sera à comparer inévitablement avec celui qu’a effectué un grand défenseur du compositeur, Gidon Kremer, avec la Kremerata Baltica (ECM, 2017). Lorsqu’il se décide à écrire des partitions pour cordes, Weinberg compte déjà son actif une vingtaine de symphonies pour grand orchestre. En cette fin de la décennie 1980, il poursuit ce qui l’a toujours préoccupé : une réflexion sur le passé et sur la mort à venir. Dans une ambiance qui fait penser à Chostakovitch et à ses adagios angoissés, le second mouvement de l’opus 145, adaptation du Quatuor n° 2, est un thème pensif qui va peu à peu se transformer en une fervente progression qui pourrait faire penser à une sorte de réconciliation avec les épreuves endurées. Cet Andante au climat évasif suit un Allegro à l’intense développement emphatique, et se prolonge dans un second Allegro au raffinement poétique. Un Presto vigoureux, traversé par des fureurs agitées, conclut cette page-souvenir qui a sans doute replongé le compositeur dans les terribles moments de son refuge à Minsk et du destin tragique de sa famille. On ressent la douleur latente qui imprègne chaque instant.

Trois ans plus tard, en 1990, Weinberg s’inspire en partie de son Quatuor n° 5 de 1945. Un Lento initial, d’une désolation austère, se nourrit de la gravité des violoncelles et des contrebasses que l’énergie contrastée d’un Allegro compense quelque peu, tout en maintenant le contexte émotionnel. L’Adagio est sombre, voire angoissant ; il fait l’effet d’une lamentation inconsolable. C’est pourtant dans l’éloquent Andante final qu’une forme d’allègement apaisé va apparaître, avec des pizzicati d’une douce éloquence, qui se dirige peu à peu vers le silence.

Face à ces compositions, on ne peut que partager une souffrance omniprésente que l’East-West Chamber Orchestra semble avoir si bien assimilée. Il est certain que cette formation, dont on annonce la sortie chez Naxos des deux autres symphonies de chambre de Weinberg, s’est investie dans cet univers souvent dévasté. Elle traduit les émotions poignantes exprimées par le compositeur avec un respect infini, et va peut-être un peu plus loin que la Kremerata Baltica de Kremer dans la transmission de ce message dramatique et touchant. Mais de telles œuvres ne souffriront pas de la présence, côte à côte, de deux versions de défenseurs d’un créateur dont l’importance dans la musique du XXe siècle ne cesse de grandir.

Son : 9 Notice : 8 Répertoire : 10 Interprétation : 10

Jean Lacroix

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