L’Orchestre de Chambre de Los Angeles en mode confidentiel

par

Pierre JALBERT (né en 1967): Concerto pour violon ; Johann Sebastian BACH (1685-1750): Concerto pour violon en la mineur, BWV 1041 ; Arvo PÄRT (né en 1935): Fratres pour violon, orchestre à cordes et percussion ; Pēteris VASKS (né en 1946): Lonely Angel pour violon et orchestre à cordes. Margaret Batjer, violon ; Orchestre de Chambre de Los Angeles, dir. Jeffrey Kahane. 2019-SACD-63'41"-Textes de présentation en français, anglais et allemand-BIS 2309

Certains disques ont le don d’éveiller l’intérêt sans remplir leurs promesses. Celui-ci, qui renferme le premier enregistrement mondial du concerto pour violon du compositeur américain Pierre Jalbert, en est un bon exemple.

Passons sur la pochette un peu kitsch. Ne nous attardons pas nous plus sur le couplage insolite du Concerto pour violon BWV 1041 de Bach avec trois œuvres de notre époque, dont aucune n’évoque de près ou de loin l’œuvre du cantor de Leipzig. Sans doute ce jumelage étonnant n’a-t-il pas d’autre raison d’être que d’offrir aux mélomanes un classique indémodable, vénéré et rassurant à se mettre sous la dent, en guise de poire pour la soif dans l’éventualité où les œuvres de Jalbert, Vasks et Pärt n’auraient pas l’heur de leur plaire. 

Achevé en 2017, le concerto pour violon de Jalbert est le fruit d’une commande conjointe de l’Orchestre de Chambre de Los Angeles, de l’Orchestre Philharmonique de Milwaukee et de l’Orchestre de Chambre de Saint-Paul, qui en destinaient la partie soliste à leurs premiers violons respectifs. La primeur du disque revient en l’occurrence à Margaret Batjer et à l’ensemble de Los Angeles au sein duquel elle évolue, dirigé par son ancien directeur artistique, Jeffrey Kahane. L’œuvre, où s’imbriquent harmonies tonales et modales, est en deux mouvements. Le premier, « mélancolique et contrasté », débute par une lente introduction, à laquelle s’enchaîne une section scherzando, avant le retour du prélude éthéré, faisant cette fois office de postlude. Le second mouvement, « avec une grande énergie », repose sur une alternance d’épisodes pulsés et d’autres plus lents, suivis d’une cadence fougueuse confiée au soliste. Ce concerto, où l’on croit pourtant déceler plusieurs passages inspirés, n’est malheureusement pas servi avec brio par l’orchestre. Celui-ci, fade, manque cruellement de relief. Les cordes manquent d’ardeur dans les attaques; le soliste, de mordant dans le scherzo du premier mouvement. Les contrastes et les couleurs résultant de la variété des alliages instrumentaux, vertus cardinales de l’œuvre, ne sont qu’imparfaitement restitués.

La pâte sonore manque également d’homogénéité dans le Concerto pour violon en la mineur de Bach. L’orchestre, terne, contrepointe timidement, comme en pointillés, le discours du violon solo. L’agilité de Batjer et la beauté somptueuse du timbre du Stradivarius « Mistein » de 1716 qui lui a été prêté pour la circonstance parviennent difficilement à occulter le manque de fluidité et d’épaisseur de l’ensemble. Si les premiers violons et la basse continue tirent leur épingle du jeu, on peine à distinguer les autres pupitres. S’ajoute à cela un manque d’entrain et de détermination jusque dans les dernières mesures de l’allegro assai final, dont le rythme de gigue parvient enfin à provoquer un sursaut de vitalité. 

Ecrit à l’origine pour un orchestre de chambre sans instrumentation fixe, Fratres d’Arvo Pärt s’est principalement imposé au répertoire dans sa version pour violon et piano, créée et jouée depuis lors à de nombreuses reprises par Gidon Kremer. Une multitude d’adaptations, dues à différents compositeurs, ont, depuis, été dérivées de cette partition qui est à ce jour la pièce la plus populaire du compositeur estonien. La version enregistrée ici, pour violon, cordes et percussion, fut composée par Pärt lui-même en 1992. Margaret Batjer et Jeffrey Kahane ont choisi d’en donner une lecture recueillie du début à la fin, et dès lors monochrome, prostrée dans un registre dynamique n’excédant jamais le mezzo forte, voire le mezzo piano. D’aucuns s’accommoderont certainement d’une telle interprétation, de bout en bout intimiste, qui ne paraît pas incompatible avec le climat monacal induit par le titre de l’œuvre. Quant à nous, nous ne cacherons pas qu’une interprétation en forme d’arche de cette version de Fratres, bâtie sur un long crescendo atteignant son apogée au milieu de l’œuvre, où le violoniste libère l’énergie épargnée jusque-là dans un ondoiement d’arpèges fébriles, suivi d’un retour progressif au silence originaire, nous séduit davantage. On en trouvera une belle illustration dans l’enregistrement réalisé par I Fiamminghi, sous la conduite de Rudolf Werthen, chez Telarc (1995).

A cette exégèse ascétique de Fratres succède, pour terminer, une autre méditation, pour violon et orchestre à cordes, du compositeur letton Pēteris Vasks. Également créé par Gidon Kremer, Lonely Angel est le résultat d’un remaniement, effectué en 2006, du quatrième quatuor à cordes de Vasks, composé sept ans plus tôt (dont il existe un bel enregistrement par le Kronos Quartet chez Nonesuch). Le compositeur a résumé comme suit le "programme" de cette œuvre: « J’ai vu un ange voler au-dessus du monde ; l’ange regarde l’état du monde d’un œil attristé ; mais le frôlement presque imperceptible des ailes de l’ange apporte réconfort et guérison. Cette pièce est ma musique après la peine ». Sur une dizaine de minutes, Vasks déroule, au violon, une ample cantilène dont il a le secret, alternant avec un choral à l’orchestre dont le « cantus firmus » est confié aux premiers violons sur fond d’arpèges ascendants et descendants du soliste. Dans la coda retentit un chant folklorique letton empreint d’une profonde sérénité. Cette fois, la pièce, introvertie, n’autorise aucun sursaut dynamique. On aurait donc pu s’attendre à ce que l’orchestre de la cité des anges fasse honneur à ce Lonely Angel. Hélas, même ici, le duo formé par l’ensemble américain et son premier violon déçoit. Pour constater à quel point le violon de Margaret Batjer manque ici de rondeur et l’orchestre d’envergure, il suffit de comparer la version que voici avec l’interprétation d’Alina Pogostkina et du Sinfonietta Rīga sous la baguette de Juha Kangas (chez Wergo). L’ange campé par Batjer ne se sera sans doute jamais senti aussi seul ; déchu, il a perdu l’immaculée blancheur que visait à traduire cette œuvre à la pureté cristalline. On déplore, en outre, quelques erreurs de justesse dans les rangs des premiers violons, ainsi que -quoique plus rarement- chez la soliste. 

La prise de son ne semble pas seule responsable de la relative déconvenue que réserve ce disque ; sans doute la balance entre soliste et orchestre aurait-elle pu être améliorée, mais c’est à l’évidence dans le manque de ferveur et d’envergure, sinon d’investissement, de ce dernier que réside la principale cause de notre désenchantement. 

C’est dire que ce disque, qui ne fait que vaguement miroiter les richesses dont semble regorger le concerto de Jalbert et la beauté diaphane de Lonely Angel de Vasks, s’apparente à une occasion manquée.

Son 8 – Livret 7 – Répertoire 9 – Interprétation 7

Olivier Vrins

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