Fin de l’intégrale de l’œuvre pour flûte de Jolivet par Hélène Boulègue

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André JOLIVET (1905-1974) : Concerto n°1 pour flûte et cordes ; Suite en concert (Concerto n°2) pour flûte et quatre percussionnistes ; Alla rustica, divertissement pour flûte et harpe ; Pipeaubec, pour flûte et percussion ; Sonatine pour flûte et clarinette ; Pastorales de Noël pour flûte, basson et harpe ; Une minute trente pour flûte et percussion ; Petite Suite pour flûte, alto et harpe. Hélène Boulègue, flûte ; Solistes de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, direction Gustavo Gimeno. 2020. Livret en anglais. 76.19. Naxos 8.574079.

Dans sa série consacrée aux lauréats de compétitions internationales, le label Naxos propose le second volume de l’œuvre pour flûte d’André Jolivet, interprétée par Hélène Boulègue qui a remporté en 2017 le Concours International pour Flûte de Kobe. Dans un premier CD, plusieurs pages (Ascèses, Fantaisie-Caprice, Cabrioles, Incantations, Chants de Linos, toutes pour flûte seule ou avec piano, ainsi que la Sonate pour flûte seule) formaient le programme (Naxos 8. 573885). Cette fois, celui-ci s’élargit à des partitions plus diversifiées quant à l’accompagnement, orchestre à cordes y compris. 

Dans la musique de chambre de Jolivet, la musique pour flûte occupe une part importante. Les Cinq Incantations pour flûte seule apparaissent en 1936 ; la série se clôturera en 1972 avec les brefs Pipeaubec et Une minute trente pour flûte à bec et petite percussion, dont l’incisivité est en partage avec un caractère rustique. La percussion se retrouve aussi dans la Suite en concert, nommée Concerto pour flûte n° 2, qui date de 1965. Ecrite à la demande de Jean-Pierre Rampal, cette page prend la forme d’une suite baroque en quatre mouvements lents et vifs en alternance. Dans son autobiographie Musique, ma vie (Paris, Calmann-Lévy, 1991, p. 170-171), Rampal écrit que Jolivet « avait toujours aimé les sonorités truculentes et tribales, et je me disais qu’il exploiterait bien les contrastes de ces instruments. Il produisit une œuvre extraordinaire pour flûte et percussion sèche. J’eus l’honneur de la donner en première à Paris. ». Rampal précise : « Le mouvement lent est très majestueux, très sobre, même funèbre. Je suggérai à Jolivet de le jouer sur une flûte alto dont le ton est plus sombre, plus grave. » Jolivet hésita, finit par se rendre à l’avis de Rampal et fut conquis, au point de dire : « C’est comme si le son montait de la Vallée des Rois, des entrailles de la terre. » Un côté à la fois sauvage et mystérieux traverse cette partition fascinante. Les froissements des percussions, les syncopes, les roulements offrent une dynamique toile de fond à une flûte qui semble souvent à la recherche d’elle-même. Jolivet, qui avait été initié à la percussion par Varèse, offre à celle-ci des moments au tout premier plan. 

Deux pages combinent la flûte avec la harpe (Alla rustica de 1963) ou avec la clarinette (Sonatine de 1961) ; deux autres sont dévolues à trois instruments, la flûte et la harpe étant d’office présentes, avec le basson (Pastorales de Noël de 1943) ou avec l’alto (Petite suite de 1941). La plupart du temps, l’accent est mis sur les interactions entre les instruments en termes de volubilité, d’impressions ironiques (la Petite Suite a été écrite pour la musique de scène d’une pièce de Lope de Vega qui ne fut jamais montée), de réminiscences de thèmes populaires ou de sensations lyriques. Les amateurs de poésie musicale seront séduits. Quant au Concerto pour flûte et orchestre à cordes de 1949, lui aussi écrit pour Jean-Pierre Rampal qui le créa à Paris le 24 janvier 1950 aux Concerts Obradous, le compositeur a expliqué qu’il avait voulu le rendre accessible à tout amateur ; en quatre mouvements, reliés deux par deux, avec au départ deux introductions lentes, il baigne dans une atmosphère expressive qui entraîne le soliste jusqu’à des notes suraigües, avec des effets de cordes à la fois fluides et subtils. Rampal réussit à convaincre Jolivet de conférer à son concerto un côté brillant et léger, mais soucieux d’élégance. 

Née en 1990, la flûtiste Hélène Boulègue a entamé son cursus musical à Nevers, avant de le poursuivre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, puis à la Hochschule für Musik de Karlsruhe. Intégrée dès 2010 à l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, elle a obtenu un second Prix au Concours International du Printemps de Prague en 2015 avant de connaître la consécration en remportant le Concours de Kobe deux ans plus tard. Elle s’est produite en soliste avec des formations comme la Philharmonie de Berlin ou celle de Rotterdam. Dans ce CD Jolivet, elle est accompagnée par toute une brochette de solistes qu’elle a côtoyés à Luxembourg. On sent le travail qui l’unit à cette phalange talentueuse. On notera la présence récurrente des harpistes Anaïs Gaudemard et Nicolas Tulliez dans trois partitions, celle des percussionnistes Marc Aixa Siurana, Rachel Xi Zhang, Laurent Warnier et Dominique Vleeshouwers, brillants dans la Suite de concert qui ouvre le CD, et les cordes de la Philharmonie du Luxembourg, sous la conduite précise de leur chef Gustavo Gimeno. Le Concerto n°1 pour flûte qui clôture cette intégrale en deux CD de la musique de Jolivet, est une belle réussite collective, la soliste se révélant à l’aise face à tous les obstacles techniques.

Son : 9  Livret : 8  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

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