Menotti, Amahl et les Rois mages : quand la magie de Noël se prolonge

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Gian Carlo Menotti (1911-2007) : Amahl et les visiteurs de la nuit, opéra en un acte. Version en langue allemande. Tempu Ishijima (Amahl), Dshamilja Kaiser (La mère d’Ahmal), Paul Schweinester (le roi Gaspard), Nikolay Borchev (le roi Melchior), Wilhelm Schwinghammer (le roi Balthazar) ; Arnold Schoenberg Chor ; Wiener Symphoniker, direction Magnus Loddgard. 2022. Notice et synopsis en allemand et en anglais. Sous-titres en allemand, en anglais, en japonais et en coréen. 55’00’’. Un DVD Naxos 2.110763. Aussi disponible en Blu Ray.

Compositeur prolifique d’œuvres lyriques, Gian Carlo Menotti, après un passage de trois ans au Conservatoire de Milan, poursuit sa formation au Curtis Institute de Philadelphie, de 1927 à 1933, où il enseigne par la suite. Il s’installe à New York. Il passera l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis, tout en conservant la nationalité italienne. Ses opéras vont rencontrer un vif succès, à commencer par Amelia Goes to the Ball (1937). La consécration viendra, pour ce musicien qui écrit lui-même ses livrets, avec The Medium et The Telephone (1946) avant The Consul (1947), sans doute son chef-d’œuvre. Une commande de la NBC, qui demande à Menotti un opéra pour la jeunesse, est concrétisée à la Noël 1951. Amahl et les visiteurs de la nuit, est créé par Thomas Schippers le 24 décembre, devant cinq millions de téléspectateurs. L’enchantement du public est tel que l’œuvre est reprise lors de la même fête au cours des années suivantes. Le livret sera même diffusé sous la forme d’un livre illustré, qui sera traduit en français peu après. Ce séduisant conte de fées poétique est repris très vite dans une version pour la scène par le New York City Opera. Il fera l’objet de nombreuses reprises, non seulement à la télévision, mais aussi dans des théâtres ou des lieux de culte. La présente production viennoise a été filmée les 17 et 18 décembre 2022 au MusikTheater an der Wien, dans une version en allemand, due au musicologue et critique musical Kurt Honolka (1913-1988), qui a fait de même pour des opéras de Mozart et de compositeurs tchèques.

L’histoire se résume aisément. Un petit garçon est très malade, mais son imagination est débordante : il raconte des histoires invraisemblables que sa mère lui reproche. Un jour, il prétend avoir vu une étoile dans le ciel annonçant la naissance de l’Enfant. Excédée, sa mère l’envoie au lit. Pendant la nuit, les trois Rois mages se concrétisent : ils ont suivi l’étoile. Ils vont rester une journée entière avec Amahl et sa mère. Celle-ci, qui est pauvre, est tentée par les richesses que les rois ont dans leurs bagages, et tente de voler de l’or qu’elle estime plus opportun pour son fils que pour un bébé inconnu. Confondue, elle est défendue par Amahl, qui veut faire don à l’Enfant de l’un de ses jouets. Le miracle se produit alors : il est guéri ! Il demande à sa mère la permission de pouvoir accompagner les Rois mages dans leur voyage, ce qui lui est accordé.

Dans un entretien avec le dramaturge Christian Schröder inséré dans la notice, le metteur en scène Stefan Herheim (°1970) signale que dans son pays natal, la Norvège, l’opéra de Menotti était programmé à la télévision chaque année pendant sa jeunesse et qu’il a marqué ses souvenirs. Il a placé l’action dans un sobre contexte hospitalier, tout à fait en situation. Amahl, habillé d’une chemise médicale claire, est accompagné par sa mère, pantalon bleu et pull rouge, et est entouré par trois comparses : un infirmier, un docteur et un prêtre. Dans ce milieu aseptisé aux murs bleus (couleur dominante, avec ses dérivés), Amahl a une première vision d’un joueur de flûte, et l’étoile annonciatrice apparaît. Des personnages pourront se rapprocher du public, grâce à un dispositif rectangulaire qui entoure l’orchestre. Tout se déroule dans un timing resserré et vif, la durée totale atteignant à peine les 55 minutes. On assiste avec plaisir aux petites disputes entre Amahl et sa mère, agacée par ses inventions. On découvre aussi avec émotion des moments de faiblesse de l’enfant malade. Lorsque les figures bibliques apparaissent (rappelons qu’elles ne sont mentionnées que dans l’Évangile selon saint Matthieu), elles sont habillées à l’antique, en vert et en blanc pour Melchior et Gaspard, en noir pour Balthazar, rappelant ainsi subtilement son origine africaine. On s’attache tout de suite à leur bonhomie décontractée, à leur candeur et à leur bonté.

La musique, légère et enlevée, pour petit effectif, est très accessible et participe avec bonheur à un jeu d’acteurs fluide et plein d’esprit, l’humour étant l’une des composantes de l’opéra. Tout cela est mené rondement, y compris l’épisode qui fait intervenir des petits anges ailés, des danseurs et une vingtaine d’étudiants de la Musikschule Liesing pour une plaisante séquence dansée. Tout cela fait plaisir à l’œil, de même que la présence d’un escalier monumental qui semble se prolonger dans le ciel, et que les Rois mages, accompagnés par Amahl, graviront pour partir à la recherche de l’Enfant. La part de la magie est préservée tout au long d’une action très bien filmée. On finit par se demander si, dans le fond, tout cela ne se passe pas dans un monde rêvé, qui agirait sur Amahl comme une thérapie inespérée.

Le plateau vocal est excellent. La mezzo-soprano allemande Dshamilja Kaiser, une habituée de Handel et Mozart mais aussi du bel canto, tient le rôle de la mère avec les inflexions nécessaires. Les trois Rois mages sont bien campés par le ténor autrichien Paul Schweinester, le baryton d’origine biélorusse Nikolay Borchev et la basse allemande Wilhelm Schwinghammer. On rit beaucoup devant leurs facéties. Mais c’est le petit soprano japonais Tempu Ishijima, soliste du Vienna Boys Choir (il aurait mérité quelques lignes de présentation dans la notice), qui crève l’écran dans le rôle d’un Amahl à la fois malicieux et touchant. Avec sa voix fraîche et cristalline, il incarne à la perfection le jeune malade, que l’on prend tout de suite en affection.

Ce spectacle est idéal pour les fêtes de Noël et leur prolongement. Sa réussite est due aussi à l’engagement de l’Arnold Schoenberg Choir et des Wiener Symphoniker, que le chef norvégien Magnus Loddgard (1979) mène avec souplesse. Véritable initiation à l’opéra pour les plus jeunes, il sera bien accueilli lors d’une vision en famille et ravira à coup sûr les petits comme les grands. Hélas, Naxos n’a pas jugé bon de proposer des sous-titres en français ; c’est une politique difficile à comprendre pour une production destinée à réjouir un large public. Les amateurs de raretés chercheront un DVD VAI de 2008 en noir et blanc qui propose la version télévisée de 1955 en version anglaise, avec la mezzo-soprano américaine Rosemary Kuhlmann (1922-2019), créatrice du rôle de la mère. Bill McIver (1942-2003) y incarne Amahl ; il remplaçait Chet R. Allen (1939-1984), qui était du premier casting.

Note globale : 9

Jean Lacroix 

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