Mozart expérimental par Harnoncourt à Salzbourg 

par

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Ouverture de la Flûte enchantée ; Symphonie n°34 en Ut majeur, K.338 ; Concerto pour hautbois en Ut majeur, K.314 ; Symphonie  n°35 “Haffner” en Ré majeur, K.385. Werner Herbers, hautbois ; Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, Nikolaus Harnoncourt.  Bonus : répétitions de la Symphonie n°25 en Sol mineur, K.183. Camerata Salzbourg, Nikolaus Harnoncourt. 1980 & 2006. Livret en anglais et allemand. BVE08071.

Cette parution des éditions Belvédère nous propose les débuts de Nikolaus Harnoncourt à la semaine Mozart (Mozartwoche), festival mozartien qui se tient chaque fin janvier à Salzbourg pour célébrer l'anniversaire de la naissance du grand compositeur. Depuis quelques années, une collection d”enregistrements a été initiée entre la Société Mozarteum qui organise l’évènement et ces éditions autrichiennes. Un temps plutôt très discrètes, ces parutions sont désormais distribuées par Naxos Allemagne, ce qui va enfin leur donner une belle visibilité. 

En janvier 1980, le grand chef autrichien est attendu par le public et la critique. Il se présente sur la grande scène du Palais des Festivals avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam dont il est, depuis 1977, l’un des chefs invités privilégiés. Cette édition 1980 de la Mozartwoche est un peu un choc des extrêmes car l’affiche propose également un concert Mozart avec la Philharmonie de Vienne sous la baguette du vétéran Karl Böhm, alors âgé de 85 ans, dont ce fut la dernière apparition scénique sur les rives de la Salzach. 

En ce début des années 1980, Harnoncourt est en pleine phase d’expérimentations avec un orchestre qui joue sur des instruments contemporains. Ce concert Mozart est ainsi exemplaire de cette démarche qui cherche à casser la tradition ampoulée et figée d’un Mozart ronronnant et épais. Le chef décape, ponce et taille à la pointe sèche un matériau dégraissé. Dès les premières phrases de l’Ouverture de la Flûte enchantée, l’oreille est confrontée à une vision qui tend l’arc dramatique tout en jouant sur les verticalités des transitions. C’est nerveux, jamais précipité, mais ce théâtre claque comme un fouet. Le Symphonie n°34 qui s’enchaine est le grand moment de ce disque avec un geste altier et conquérant qui impose nervosité et tension. L’atmosphère est grave mais Harnoncourt rend la minéralité du génie orchestral mozartien. 

Werner Herbers, chef du pupitre du RCOA est le soliste du Concerto pour hautbois de Mozart qui évacue toute joliesse et rondeur pour se concentrer sur un discours encore granitique, presque abrasif mais parfaitement équilibré et limpide comme une source de montagne. Le concert se clôt avec la Symphonie n°35 “Haffner”. On continue à entendre un Mozart découenné, rendu à sa force nerveuse et paroxyste d’impacts scandés avec vigueurs. La mayonnaise prend un peu moins et le geste se fait parfois trop raide alors que la démarche purement intellectuelle nuit au superbe mouvement  “andante” bien trop linéaire. Tout au long de ce concert, saluons l'adaptabilité de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam qui ne plie jamais, gardant un niveau incroyable de concentration. 

Selon des extraits d’articles de presse proposés dans le booklet, la presse avait été très divisée sur ce concert très intellectuel. Notons pourtant qu’Harnoncourt garde toujours une parfaite cohérence entre l’idée et sa réalisation et que l'ensemble est musical, loin des exercices de styles brutaux et précipités des faux révolutionnaires de notre temps (suivez notre regard) pour qui Mozart n’est que vitesse et précipitation.  

Le coffret propose en bonus deux Cds d’une répétition consacrés par le chef et la Camerata Salzbourg à la Symphonie n°25. Le document est à réserver aux germanophones émérites et la prise de son est assez étriquée, sans doute que la captation s'envisageait comme réservée aux archives. 

Notons la fragilité du décevant digipack qui héberge ce riche contenu : l'emboitage est de mauvaise qualité et s'abîme très vite alors que le livret très fin s’avère mal relié et se déchire.

Une parution toujours intéressante car elle questionne et fuit la routine, mais qui est à réserver aux inconditionnels du chef.   

Son : 8  Notice : 7  Répertoire : 10  Interprétation : 8

Pierre-Jean Tribot

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