Musiques Nouvelles : 60 ans, 45 compositeurs, la création épanouie 

par

Tim Gouverneur (1983-), Benoît Chantry (1975-), Adrien Tsilogiannis (1982-), Sébastien Jurczys (1985-), Eric Bettens (1973-), Edwin Pierard (1986-), Alin Gherman (1981-), Alithéa Ripoll (1990-), Paula Defresne (1971-), Jonathan Aussems (1981-), Nicolas d’Alessandro (1981-), Guillaume Auvray (1990-), Maxime Georis (1991-), François Couvreur (1992-), André Ristic (1972-), Gilles Doneux (1985-), Pierre Slinckx (1988-), Grégory d’Hoop (1986-), Gaëlle Hyernaux (1979-), Qoutayba Neaimi (1986-), Adrien Lambinet (1979-), Alice Hebborn (1990-), Eliot Delafosse (1994-), Jarek Frankowski (1958-), Stefan Hejdrowski (1993-), Hughes Kolp (1974-), Laurent Houque (1985-), Max Charue (1992-), Bo Van der Werf (1969-), Benjamin Sauzereau (1984-), Eric Collard (1995-), Pierre Quiriny (1983-), Judith Adler de Oliveira (1989-), Gwenaël Grisi (1989-), Harold Noben (1978-), Patrick Leterme (1981-), Sarah Wéry (1987-), David Achenberg (1966-), Line Adam (1972-), (19-), Jean-Philippe Collard-Neven (1975-), Fabian Fiorini (1973-), Apolline Jesupret (1995-), Stephane Orlando (1979-), Arnould Massart (1956-), Pauline Claes (1982-): 60 Ans 45 Compositeurs - 2012-2022. Musiques Nouvelles. 6h48’38 – 2022 – Livret en : anglais, français. Cypres. CYP8621. 

Avec la même formule, éprouvée lors de son cinquantième anniversaire et adaptée à la dizaine supérieure, Musiques Nouvelles fête ses soixante ans, fugitivement à Flagey (« 60 Years 60 minutes 60 composers ») en prélude à Saint-Nicolas, et pour l’éternité chez Cypres, avec un joli coffret de six disques, petit frère de celui qui, paru en 2012, table, outre la belle place réservée à Henri Pousseur (dont Répons, créé dans sa version mobile le 6 décembre 1962 à Bruxelles, marque la naissance de l’ensemble, sous la férule de Pierre Bartholomée), sur 24 compositeurs majeurs dans l’horizon belgo-francophone. Cette fois, les 60 Ans 45 Compositeurs - 2012-2022 élargit le panorama, dans l’ordre chronologique des enregistrements de ces dix dernières années, avec une attention particulière aux nouvelles générations, à propos desquelles la diversité du patrimoine en construction, une fois rassemblées les contributions de chacun, se fait évidence : le joyau de ces noces de diamants, c’est cette mise en perspective des compositeurs, servis par des instrumentistes, parfois virtuoses, toujours curieux, déterminés à construire un nouveau répertoire -dont certaines partitions passeront peut-être l’épreuve du temps.

Notre descendance nous le dira, dans ce futur auquel nous ne participerons plus, mais ce qui est sûr, c’est que certaines pièces, parfois en fonction de circonstances aléatoires, souvent par leurs qualités intrinsèques, génèrent un éveil de l’attention, léger déclic qui s’invite, comme un frôlement qui offusque quelques poils horripilés, tressaillement que l’on devine plus qu’on ne l’identifie, avant de tendre oreilles et esprit et de se laisser convaincre (pas toujours, il y a des fausses alertes) par la curiosité, l’engouement et le plaisir. Je ne vous liste pas les 45 compositions, j’en épingle quelques-unes, éparses mais pas au hasard (le choix n’est ni arbitraire, ni objectif), au fil d’écoutes baignées dans l’effervescence que produit le grouillement de tant de sons assemblés avec soin, perspicacité et sensibilité.

André Ristic (il est aussi mathématicien) traite la question de l’imperfection selon un processus astucieux : il parsème les constructions répétitives de Cristal impur, à charge de l’ensemble des musiciens, d’interventions solistes légèrement hors phase, décalées -imparfaites ; Tim Gouverneur (il est, lui, physicien) base sa Danse insomniaque sur des boucles jouées par chaque instrument, couches additionnées selon une périodicité influencée par le chef d’orchestre.

Difficile pour Pierre Slinckx -qui revendique, avec Anyway the wind blows, clé de la porte de sortie, un tournant dans ce qui va devenir son esthétique propre- d’échapper totalement à celui qui fut au centre de son travail académique pendant le sprint final : le mystère Fausto Romitelli imprègne la pièce, référence silencieuse mais solide ; comme l’est pour Adrien Tsilogiannis celle du poète Serge Venturini quand, dans Transfulgurés, il étend ses tissus sonores comme des draps humides raidis par le gel, qu’il faut étirer sans les rompre, plis délicats pris dans la raideur, qu’on déploie avec une anxiété latente.

Je me laisse prendre par la course paroxystique d’Hors-corps, qu’Alice Hebborn démarre comme une flânerie qu’entament bientôt les peaux, avant que la guitare électrique ne la strie, et la déchire, jusqu’à un climax qui s’effondre dans le silence -on craint qu’il ne soit la fin, mais non, le piano, circonspect, renaît avec précaution, mais oui, la réticence est trop forte, et le feu se meurt, tout combustible calciné, sa puissance rassasiée. C’est également son parcours, en arche cette fois et dans une humeur non excessive, qui m’appelle dans From nomads to nomads, de Max Charue, où les choses vont, s’en vont -et parfois ne reviennent pas.

Adrien Lambinet (il joue aussi du trombone avec Musiques Nouvelles) me fait sourire avec l’(approximative) interactivité qu’il suggère dans Les Baobabs sauvages, chaotique suite d’atmosphères sonores (il mange avec un appétit vorace à tous les râteliers), qui vire à l’engrenage de la liberté contrainte (tant pour les séquences improvisées que pour le choix, par applaudissements, entre une fin apocalyptique ou heureuse).

Interstellar cloud de Hughes Kolp séduit par sa simplicité et son évidence (il fait partie de la série Sound Meditation de l’ensemble), emprunte à bon escient à Steve Reich et Pink Floyd -en même temps qu’il me renvoie à l’exquis trio féminin de tricoteuses finlandaises Amiin ; comme touche la tendresse de Pierre Quiriny pour son père, présent et absent à la fois, dans Souvenir de toi.

Enfin, il y a l’étrange et le fascinant, le monde intérieur de Sarah Wéry, trop à l’étroit pour rester longtemps intérieur, vrillé quand il s’échappe, torturé et inapte à la sérénité, sifflant comme le serpent, immoral comme un renard de fable, qui sourd de Perspectives d'avenir : 1. Attendre dans l'eau, première de trois pièces d’un cycle, où interviennent des verres-poubelles, la clarinette basse et des caissons de voitures kitées.

Bon anniversaire !

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

 

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