Œuvres orchestrales de Paul Wranitzky, volume 6 : musique de scène

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Paul Wranitzky (1756-1808) : Les Espagnols au Pérou, ou la Mort de Rolla ; Yolanda, reine de Jérusalem ; Achmet et Zénide, musiques de scène. Orchestre de chambre de la Philharmonie de Pardubice, direction Marek Štilek. 2022. Notice en anglais. 69.28. Naxos 8.574454.

Le label Naxos ajoute, à cinq albums déjà parus, un sixième consacré aux œuvres orchestrales du compositeur morave Paul Wranitzky, qui fit une grande partie de sa carrière à Vienne. Après des symphonies, des ouvertures et des ballets, c’est la musique de scène qui est cette fois mise en évidence. Comme cela a déjà été le cas pour les autres numéros de la série, il s’agit ici de premières gravures mondiales. Nous renvoyons le lecteur, notamment en ce qui concerne les aspects biographiques à nos articles des 30 avril 2021 et 6 avril 2023 pour les volumes 1 et 5, et à celui de Christophe Steyne du 15 janvier 2023 pour le volume 4.  

En 1795, August von Kotzebue (1761-1819), qui finira assassiné pour des raisons politiques, écrit Les Espagnols au Pérou, ou la mort de Rolla, une tragédie en cinq actes, suite d’une autre œuvre, La Vierge du soleil, le tout se déroulant à l’époque de la conquête sanglante de l’empire inca par le conquistador Francisco Pizarro en 1532. Juriste et dramaturge à succès, Kotzebue s’adresse tout naturellement à Wranitzky, directeur des théâtres de la Cour de Vienne depuis 1790, pour l’agrément musical de sa pièce. Les ouvertures des actes ont fière allure, avec des rythmes engagés et des interventions solistes parsemées, notamment du violoncelle ou de la trompette, qui apportent des accents globalement légers à un épisode qui fait oublier, par son élégance, que l’assassinat du dernier empereur inca, Atahualpa, a été une honteuse affaire de traîtrise. Habile faiseur, Wranitzky sait conférer à la marche de l’Acte II les traits martiaux qui lui conviennent. Réutilisée par le compositeur dans sa Symphonie op. 33 n° 2 qui figure dans le troisième volume de cette anthologie Naxos, l’ouverture du troisième acte n’est pas ici de la partie.

Il faut avouer que ces Espagnols au Pérou très viennois sont assez peu représentatifs de l’univers ibérique. Pour une couleur locale plus adaptée, on peut préférer la musique dynamique composée pour Achmet et Zénide, qui date de 1796, et sert d’illustration scénique à une pièce en cinq actes du dramaturge August Wilhelm Iffland (1759-1814), qui fut aussi un acteur apprécié par Goethe et Schiller. L’histoire se déroule dans le palais du gouverneur d’une province turque. La concubine favorite du pacha local est convoitée par un visiteur venu d’Europe. Quatre ouvertures garantissent, à travers une orchestration raffinée et subtile (l’emploi du piccolo pour la mélodie d’entrée, mais aussi celui du triangle, des cymbales et de la grosse caisse), une atmosphère langoureuse, parfois voluptueuse, que les vents servent avec efficacité, y compris dans une marche funèbre destinée à mettre en avant le redoutable corps militaire des janissaires. Comme le souligne le signataire de la notice, Daniel Bernhardsson, Wranitzky a une conception symphonique de la musique de scène.

Sollicité à nouveau en 1797, cette fois par Friedrich Wilhelm Ziegler (1761-1827) pour sa tragédie en quatre actes Yolanda, reine de Jérusalem, Wranitzky semble ici en pleine maîtrise de l’art d’habiller le fait théâtral par la musique. L’action se déroule en 1135 sur fond d’enjeux politiques, d’actions guerrières et d’élection du Grand Maître des Templiers. Cette intrigue qui mêle les aspects religieux et militaires est traduite avec beaucoup de solennité, les diverses pages évoquant des fanfares, des batailles entre les chevaliers occidentaux et les troupes musulmanes ou une marche altière. Des moments nourris par des cordes vibrantes, mais aussi par le lyrisme du hautbois, de la clarinette ou du basson. 

Ces musiques de scène viennent compléter et approfondir le portrait de Paul Wranitzky, qui avait pignon sur rue à Vienne, y compris comme chef d’orchestre. C’est la formation de chambre de la Philharmonie de la cité tchèque de Pardubice qui officie à nouveau pour ce sixième volume, toujours conduit par Marek Štilek. Le constat est le même que pour les autres numéros de cette anthologie d’œuvres orchestrales : le tout est emballé avec soin, le ton est souvent ludique et gracieux quand il le faut, mais il y manque un grand élan qui dynamiserait des partitions qui ne demandent que cela. Il ne faut cependant pas bouder son plaisir face à la découverte d’un pan du répertoire jusqu’ici méconnu qui, à l’écoute, se révèle agréable. 

Son : 8,5  Notice : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 8

Jean Lacroix

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