Violon sur basse obstinée dans l’Autriche baroque, agrémenté d’un frétillant continuo
Ostinato. Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) : Passacaglia [Sonate 6, -Sonatae violino solo] ; Sonata 75 [Minoritenkonvent Wien]. Georg Arnold (1621-1676) : Capriccio [Canzoni, Ariae e Sonatae Op. 3]. Antonio Bertali (1605-1669) : Ciaccona [Partiturbuch Ludwig]. Heinrich Döbel (1651-1693) : Sonate en la majeur. Johann Josef Vilsmayr (1663-1722) : Sonate. Johann Heinrich Schmelzer (c1623-1680) : Ciaccona. Ars Antiqua Austria. Salzburg Lute Consort. Gunar Letzbor, violon. Jan Krigovski, violone. Hubert Hoffmann, théorbe, luth. Daniel Oman, colascione. Jakub Mitrik, chitarra attiorbata. Erich Traxler, orgue, clavecin. Décembre 2021. Livret en allemand, anglais. TT 73’16. Pan Classics PC 10444
Est-on sûr que traduire « Betrachtungen vom Podium herab » (Considérations du haut du podium) par « Contemplations from the podium » (notice en anglais, page 13) contribue à la modestie du propos de son auteur ? Les lignes de Gunar Letzbor expliquent en tout cas avec force anecdotes et souvenirs les raisons de ce projet, le choix des partitions et les options interprétatives. Intitulé Ostinato, l’album se parcourt comme une anthologie du répertoire baroque pour violon sur basse obstinée, et invite quelques célèbres passacailles et chaconnes.
Certaines pages sont de vieilles connaissances pour l’artiste autrichien, comme la Ciaccona de Bertali, jouée non dans la version de Kroměříž (1662) mais dans l’état précédent consigné dans le Partiturbuch Ludwig, sans indication de tempo, ce qui autorise selon l’interprète une lecture plus lente et égale que l’approche qu’il en adopte habituellement. Autre ancien compagnon de route, qu’il joue depuis une trentaine d’années, la Chaconne de Schmelzer (issue de la Bibliotheca Cubicularis) ne fut pourtant enregistrée par Gunar Letzbor que récemment, dans un précédent album pour le même label. Un an après, il la gravait ici en décembre 2021 pour la seconde fois, justifiée par l’emploi d’un continuo élargi de cordes pincées qui constitue la singularité et l’attrait de tout ce CD : conformément aux recherches d’Hubert Hoffmann sur la pratique salzbourgeoise de la famille des luths dans la basse continue, quatre instruments (théorbe, luth, colascione, chitarra attiorbata) intègrent ici le soutien au soliste, en sus de l’orgue et du clavecin. Et même si l’ample chaconne de Bertali ne se déploie que sur l’apprêt du clavier, pour mieux souligner la partie soliste, où Gunar Letzbor déploie une géométrie rigoureuse (un peu trop angulaire peut-être) et non moins enjouée.
Deux élaborations de Biber permettent de goûter des affects très différents : sensualité et dolorisme pour la Passacaglia tirée des Sonatae violino solo, où l’équipe rivalise d’invention sonore pour appuyer les effets dramatiques, alors que son alter ego tirée du Minoritenkonvent de Vienne relève d’une méditation mélancolique -après le prélude lourdement poinçonné, l’interprétation de l’Adagissimo déambule en poses mystiques, et accuse presque excessivement la neurasthénie. Le programme convie d’autres œuvres plus rares, inspirées de Biber et Schmelzer : la première des quatre Sonates de Döbel, et la Sonate de Vilsmayr que Gunar Letzbor a traquée dans la Bibliothèque d’État de Saxe, et qui nécessite un accord très particulier en scordatura. Le menuet et l’éblouissant final apportent ce qu’il faut de divertissement pour varier les humeurs de ce disque, entre coup d’éclat de figurations virtuoses et ruminations ésotériques. Pour de telles partitions, notamment les plus méditatives, l’acoustique de l’abbaye de Sankt Florian est évidemment un cadeau.
Christophe Steyne
Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 7-9,5 – Interprétation : 9