Où les interprètes servent totalement l'oeuvre, sans vedettariat

par

JOKERPiotr Ilyitch TCHAIKOVSKI  (1840-1893)
Iolanta
A. Netrebko (Iolanta), S. Skorokhodov (Vaudémont), A. Markov (Robert), V. Kowaljow (le roi René), L. Debevec Mayer (Ibn-Hakia), J. You (Alméric), M. Bohinec (Martha), Th. Plut (Brigitta), N. Rojko (Laura), Slovenian Philharmonic Orchestra, Slovenian Chamber Choir, dir.: Emmanuel VILLAUME
2015-DDD-Live- 2 CD 68'25'' et 24' 41''-chanté en russe- texte de présentation en anglais, allemand et français-DG 479 3969

Il semble qu'après Eugène Onéguine et La Dame de pique, Iolanta soit devenu l'opéra le plus populaire de Tchaikovski : il en existe huit versions en CD et deux en DVD ! Anna Netrebko, star entre toutes les stars, la promène sur toutes les scènes du monde, diffusion assurée. L'Opéra de Paris la reprend la saison prochaine, couplée avec le ballet Casse-Noisette, comme lors de la création  en 1892. C'est une histoire toute simple : une jeune fille aveugle découvre la vue par l'amour. Le compositeur, au faîte de ses moyens, déploie une invention mélodique immédiate, et l'oeuvre, courte, possède un impact direct. La discographie était dominée par l'ancienne version de Rostropovitch (Erato), avec Galina Vischevskaïa, suivie par la plus récente, celle de Gergiev (Philips) avec Galina Gorchakova. La crainte, avec la présente intégrale, était bien entendu la présence de Netrebko, qui risquait d'écraser toute la distribution. Miracle, c'est le contraire qui s'est produit. Tous les acteurs de cette nouvelle production nous sont peut-être inconnus, mais ils sont soudés autour de la soprano, qui ne joue aucunement le rôle de vedette. Tout, dans cette version, participe de l'évidence, du naturel. L'arioso d'Iolanta, le chœur qui suit, puis la berceuse, éblouissent immédiatement : l'inspiration du compositeur éclate page après page. Les rôles du Roi René et du médecin maure Ibn-Hakia, auquel Tchaikovski dédie deux airs admirables, sont chacun chantés sans emphase, de manière délicate et musicale, tout comme la scène de Robert. Lors du duo, pivot de l'oeuvre, Vaudémont et Iolanta se découvrent, avec hésitation et crainte, puis avec une passion que Netrebko et Skorokhodov font partager avec une rare sincérité. A deux, ils créent le climat lyrique, puis la tension, jusqu'à l'éclat final, savamment conduit, puissant mais sans excès. La fin de l'opéra se déroule dans un tempo haletant, tout en gardant le souci de la ligne mélodique, si essentielle chez Tchaikovski. Et il culmine sur l'hymne de l'héroïne à la lumière et à l'amour : Netrebko rayonne et l'émotion est à son comble. Comment choisir ? Rostropovitch brille par une Iolanta sensible à l'extrême (Vichnevskaïa) et par des solistes connus (Gedda, Gronroos, Petkov, Krause), Gergiev impressionne par une distribution formidable (Gorchakova, Hvorostovsky, Grigorian, Putiline). Mais ces équipes solides font-elles vraiment face à la simplicité désarmante de la présente intégrale Villaume, si proche de l'esprit même de Iolanta ? Pour découvrir toute l'émotion du testament lyrique de Tchaikovsky, j'opterais, je crois, pour ce beau coffret DG.
Bruno Peeters

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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