Parcours dans la sonate germanique du XVIIIe siècle, au clavecin

par

Sturm und Drang. Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) : Sonate no 3 en mi mineur Wq 49. Johann Christian Bach (1735-1782) : Sonate no 4 en mi bémol majeur Op. 5. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonate no 13 en si bémol majeur. Franz Joseph Haydn (1732-1809) : Sonate no 59 en mi bémol majeur. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate no 19 en sol mineur Op. 49 no 1. Mario Raskin, clavecin. Juin 2021. Livret en français, anglais, espagnol. TT 72’32. Pierre Vérany PV761021

Les albums Forqueray, Duphly, Soler, Scarlatti réalisés pour le même label rappelleraient s’il en était besoin les affinités de Mario Raskin avec ce que le clavecin propose de plus virtuose et fantasque au XVIIIe siècle. Le musicien d’origine argentine se consacre ici au versant germanique et plus particulièrement à l’évolution du genre de la Sonate. On aurait aimé que la notice signée de l’interprète, un peu courte, s’attache à définir le titre « Sturm und Drang » (tempête et passion) que s’est choisi le CD, un courant esthétique majeur succédant à l’Emfindsamkeit, laquelle pourrait mieux définir le mode expressif révélé dans l’amont du programme, structuré chronologiquement. Ainsi la Sonate de CPE Bach, issue d’un lot publié au début des années 1740. Toujours est-il que Carl Philipp Emanuel contribua à fixer le cadre tripartite, alors que son frère installé à Londres dut parfois plier ce moule à une forme bipartite pour plaire au goût anglais. Sous un aspect plus ouvertement « Sturm und Drang », la Sonate no 8 de Mozart, en ut mineur, aurait peut-être mieux servi le projet que celle retenue ici, la treizième.

La versatilité des affects, les chromatismes et hiatus rhétoriques se heurtèrent parfois aussi au schéma harmonique et structurel qu’allait bientôt codifier le classicisme (cf le corpus haydnien), avant que la subjectivité du discours ne s’exacerbe à nouveau dans le courant romantique qui allait synthétiser ces tendances -avec Beethoven comme emblématique représentant de cette transition. À ceux qui douteraient d’une exécution de cet opus 49 au clavecin, rappelons que certains opus pour clavier du Maître de Bonn, étaient encore publiés avec la mention « per il clavicembalo o pianoforte ». Il ne s’agit pas de faire de nécessité vertu (l’argument était surtout commercial à une époque où l’instrument à plectre n’avait pas disparu des foyers et salons), mais l’option est bienvenue. Surtout quand elle permet d’observer sur un même instrument l’évolution et la pluralité d’un style, au long d’un demi-siècle.

Mario Raskin nous présente son anthologie sur un clavecin d’esthétique française (école Hemsch), d’une sonorité épanouie sur tout le spectre (captée d’un peu près et sèchement -on aurait souhaité davantage d’acoustique ambiante), propice à servir l’équilibre du discours. Les vecteurs disruptifs, les transes et vertiges, ne sont pas les mieux valorisés par cette prestation, qui pêche un peu par sagesse. Toutefois, un jeu précis, régulier et élégant cerne au mieux les traits du style galant qui est aussi un ingrédient de ce parcours, ici lissé par une interprétation qui semble surtout sensible au classicisme de ce laboratoire du clavier dix-huitièmiste. Le cœur et les doigts y sont respectables, et l’on remercie Mario Raskin de nous offrir ce généreux florilège.

Christophe Steyne

Son : 8 – Livret : 6,5 – Répertoire : 7-9 – Interprétation : 8

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