Pauvres femmes, femmes talentueuses :  Mese Mariano d’Umberto Giordano et Suor Angelica de Giacomo Puccini 

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Pour la plupart des spectateurs, le programme proposé leur vaut une découverte : celle du Mese Mariano d’Umberto Giordano. Une œuvre inconnue dans les ouvrages de référence (ne la cherchez pas dans les « Mille et un opéras » de Piotr Kaminski, elle n’y est pas ; et Wikipedia n’en parle, et brièvement, qu’en anglais). Elle ne sera d’ailleurs représentée, nous apprend Operabase, nulle part ailleurs qu’à Liège cette saison. C’est un opéra en un acte d’une petite quarantaine de minutes.

Quant à Suor Angelica de Giacomo Puccini (composant Il Trittico - Le Triptyque avec Il Tabarro et Gianni Schicchi), également opéra en un acte, elle est mieux connue. Quoique. A peine dix productions all over the world cette saison (Rigoletto sera à l’affiche de 169 maisons en Allemagne !). On la retrouvera cependant à La Monnaie, avec les deux autres, ce qui est rare, en mars prochain.

Pourquoi cette programmation ? C’est qu’il s’agit d’une histoire de femmes, de pauvres femmes, si l’on considère les tristes héroïnes des deux œuvres, des femmes talentueuses si l’on considère les artisanes et interprètes de ce spectacle.

Les deux œuvres nous présentent deux filles-mères, Carmela et Angelica, obligées d’abandonner leur enfant, dépossédées du « fruit de leur chair ». Deux œuvres typiques du vérisme, un mouvement lyrique marqué par le naturalisme, dont Cavalleria Rusticana de Mascagni et Pagliacci de Leoncavallo sont les modèles.

Tristes destinées : celle de Carmela, femme du peuple, fille-mère, que son mari a obligée à confier « l’enfant du péché » à une voisine d’abord et, à la mort de celle-ci, à une institution religieuse. Celle d’Angelica, de grande famille, elle, punie de sa faute par la réclusion dans un couvent. Les deux enfants mourront.

Ce qui est remarquable dans les deux œuvres, ce sont les contrastes -dont on sait combien ils renforcent les effets dramatiques : c’est jour de fête dans l’orphelinat où a été placé l’enfant de Carmela, ce sont les merveilleux trois soirs printaniers où le soleil couchant vient dorer l’eau de la fontaine du couvent dans lequel Angelica est recluse. L’abandon, la solitude, la méchanceté, la douleur, l’injustice, la mort en contrepoint.

Dans une mise en scène respectueuse et illustrative bienvenue de Lara Sansone, musicalement, c’est vraiment très beau : la « lamentation » du récit de Carmela, l’air du désespoir d’Angelica. Une partition plus linéaire chez Giordano, plus pertinemment complexe chez Puccini. Serena Farnocchia, dans son chant, est l’exacte « porte-voix » de ces deux vies désespérées. C’est lui qui dit, nuance, déplore la terrifiante injustice d’une condition imposée à des femmes innocentes, les incroyables souffrances qu’elle engendre. Violeta Urmana, qui est aussi la Mère supérieure dans le Giordano, impose, avec quelle violence déshumanisée, le terrible personnage de la Zia Principessa, qui n’est qu’honneur familial. Sarah Laulan, Aurore Bureau, Julie Bailly, Morgane Heyse, Natacha Kowalski, et Patrick Delcour, les entourent.

Mais tout cela ne prend son juste sens musical que grâce à la cheffe Oksana Lyniv, à sa direction jamais insistante dans ces œuvres mélodramatiques : la légèreté de son approche, et qu’elle obtient des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra, bien loin de certaines pesanteurs dramatisantes, est la meilleure façon d’exalter des partitions (et particulièrement celle de Puccini) au diapason de ce qui déchire ces pauvres héroïnes-là. Mentionnons, dans ces univers enténébrés, la fraîcheur des enfants de la Maîtrise de l’Opéra Royal.

Stéphane Gilbart

Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 29 janvier 2022

Crédits photographiques : J. Berger/ORW-Liège

 

 

 

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