Pelléas et Mélisande, voix nues au piano au Théâtre de l’Athénée

par

Le Théâtre de l’Athénée présente Pelléas et Mélisande de Debussy dans la version avec piano que le compositeur a d’abord écrite et publiée avant la version orchestrale. Le cadre intimiste de l’Athénée permet la transparence du texte, renforcée par cette partition du piano qui met les voix à l’épreuve de l’expression à l’état pur.

C’est à la Fondation Royaumont que le travail a été effectué en résidence artistique, avant que cette version fût présentée d’abord en janvier 2022 à Toulon (Chateauvallon-Liberté, scène nationale). En effet, La Bibliothèque François-Lang de la Fondation possède deux exemplaires de la première édition piano-chant (Editions Fromont, 1902) et l’exemplaire du compositeur de la partition d’orchestre (Première édition, Fromont, 1904) avec des corrections autographes. Le projet avec la Fondation Royaumont explore donc les ressources de ces archives, afin de « démontrer […] que l’opéra est avant tout un théâtre » selon la note d’intention des metteurs en scène, Moshe Leiser et Patrice Caurier. Le duo, qui a déjà mis en scène l’opéra de Debussy il y a vingt ans à Genève (avec Simon Keenlyside, Alexia Cousin et José van Dam pour les rôles principaux et Louis Langrée à la baguette) mais se détache de leur travail précédent. « Que la musique soit au service du mot et de la poésie, dit Moshe Leiser lors d’une répétition en 2022, et de rendre cette poésie absolument concrète, ne pas céder aux sirènes de la beauté vocale […] ou de la beauté de l’image sur scène ». Il continue dans son intention, en disant qu’il essaie : « de rendre tangible la vérité qu’il y a à l’intérieur de cet ouvrage. »

Ces mots se manifestent par une scénographie extrêmement dépouillée, qui se réduit à un canapé et deux fauteuils devant un mur de planches de bois avec une porte également de contreplaqué, la plus impersonnelle qui soit. Lorsqu’un personnage disparaît ou apparaît dans le noir derrière cette porte, c’est comme s’il vivait dans un monde totalement inconnu. Le piano à queue, installé sur la scène côté jardin, fait partie du décor et devient la table ou le comptoir sur lequel s’appuie Golaud ivre, ou la tour d’où tombent les cheveux de Mélisande. Cette méthode de substitution d’un objet par un autre, très présente dans l’art plastique traditionnel japonais sous le nom de mitate, est la quintessence même du symbolisme « concret ». Les propos des metteurs en scène sont donc assumés, même si nous ne savons pas s'ils y ont fait référence. Ici, outre le piano, le canapé est considéré comme le bord de la fontaine, le fauteuil, le rocher et ainsi de suite. La vision minimaliste de la scène rend nue la musique et, surtout, la prosodie dans laquelle Debussy voulait être fidèle à la poésie de Maeterlinck. C’est à chaque spectateur d’imaginer intérieurement sa propre mise en scène. Par ailleurs, le mur de bois renvoie les paroles telles quelles, sans que nos oreilles soient influencées par l’effet orchestral, si envoûtant qu’il soit.

Les chanteurs adhèrent complètement à cette idée. Marthe Davost joue une Mélisande fragile et cette fragilité se manifeste vers la fin par un jeu accentuant un certain détachement, notamment le regard fugace. De manière générale, son jeu d’actrice épouse son chant et vice-versa ; son timbre clair et ses phrasés raffinés, parfois volontairement hésitants, résonnent comme un symbole d’innocence et du caractère insaisissable du personnage. En Pelléas, Jean-Christophe Lanièce se montre en un excellent mélodiste, autant pour la projection que le placement de voix selon les tessitures. Cela semble contraindre quelque peu ses mouvements, à moins que ce ne soit voulu par la mise en scène. Halidou Nombre explore avec engagement la caractérisation de Golaud, ici un homme violent poussé par l’alcool. Sa voix de baryton-basse s’impose indéniablement non seulement dans l’expression de la colère mais ce qui est derrière cette colère, et ce, dans les moments calmes aussi bien que dans la fureur. Cyril Costanzo prend lui aussi à cœur son rôle, celui d’Arkel. Le vieux roi au fauteuil roulant à la main constamment tremblante, il marche à pas incertains et c’est à cette image qu’il modèle sa voix. Mais pour un vrai vieillard, le timbre reste frais et la diction bien claire, autant dire que le chant debussyste est bien là, de même que chez Marie-Laure Garnier, merveilleuse Geneviève aux très riches couleurs, à la fois intenses et chaleureuses. La clarté dans ses paroles est un plaisir supplémentaire incontestable. Cécile Madelin en un Yniolde adolescent, le casque aux oreilles et le bonnet à la tête, s’impose dans son effroi au moment de guetter la fenêtre de Mélisande, sous la menace de Golaud enragé.

Au piano, Martin Surot offre l’art de l’écriture de Debussy avec tant de subtilités, de style et de théâtralité. Faisant partie intégrante de la mise en scène, il joue à quelques reprises un personnage sans nom, en répondant par des gestes et des signes à d’autres personnages. L’instrument étant fermé pendant toute la durée de la représentation (on imagine que c’est en grande partie pour le besoin de la mise en scène), la partie du piano demeure donc discrète, afin, certainement, de privilégier les voix. Mais sa prestation est telle qu’on pourrait jusqu’à dire que le véritable protagoniste de cette production serait le pianiste.

Paris, Théâtre de l’Athénée, le 15 février 2024

Crédit photographique © Guillaume Castelot

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.