Portrait de l’art polyphonique de Johannes Tourout, chantre de l’empereur Frédéric III

par

Johannes Tourout (fl. c. 1460) : Adieu m’amour, adieu ma joye ; O generosa nata David ; O gloriosa Regina mundi ; Mais que ce fut secretement ; O castitatis lilium ; O florens rosa ; Fors seulement ; O gloriosa Regina mundi in varia prolationes species ; Magnificat Quarti toni ; Mon œil lamente ; Missa Mon œil [extraits]. Cappella Mariana. Vojtěch Semerád, ténor, vielle, direction. Hana Blažíková, Barbora Kabátková, soprano. Ondřej Holub, ténor. Jaromír Nosek, basse. Jakub Kydlíček, flûtes à bec. Mélusine De Pas, viole Renaissance. Livret en anglais, français, néerlandais ; paroles en langue originale traduite en anglais. Janvier & avril 2021. TT 74’33. Passacaille 1124

Parmi les personnages aujourd’hui méconnus qui fleurirent à la Renaissance, cet album se consacre entièrement à ce compositeur identifié sous plusieurs graphies apocryphes, et dont le patronyme serait Tourout, peut-être en lien avec la ville de Tourhout, entre Bruges et Roselaere, ce qui confirmerait son origine flamande. Actif à la Cour de Frédéric III de Habsbourg qu’il suivit dans ses déplacements, voilà ce qu’on en sait avant que les indices ne s’effacent après 1466. La discographie affiche quelques rares traces de son œuvre, qui apparait sporadiquement dans l’album Petrus Whilhelmi de Grudencz illustrant le répertoire du XVe siècle en Europe centrale (Glossa, 2016), ou l’album Codex Speciálník (Etcetera, 2016) par l’ensemble Cappella Mariana qui nous offre ici ce portrait.

Voici une anthologie de son art polyphonique, à travers des œuvres qu’on lui prête dans différents genres plus ou moins élevés : messe, motet, chanson. Le travail sur les archives et partitions émane de Jaap van Benthem qui a édité ses résultats sous l’égide du Koninklijke Vereniging voor Nederlandse Muziekgeschiedenis. Les quatre extraits de la Missa Mon œil (manque le Credo, non enregistré) dérivent d’une chanson française dont le matériau musical a été reconstitué par ses soins : est-ce la bergerette que l’on attribue à la plume d’Antoine de Cuise (c1425-c1502), et que la notice suppose « d’auteur inconnu » ?

Autres conjectures, peut-être plus contestables, dans le versant profane. Mais que ce fut secretement appose les paroles de ce rondeau sur le canevas polyphonique de Ave virgo Gloriosa / O preclare Jesu care (folio 183 du Codex Speciálník), sous prétexte de probable contrefacture : audacieuse tentative de retour à la source, par une sorte de distillation (certes inévitablement alambiquée quant au procédé). Même expédient pour Adieu m’amour, adieu ma joye et Fors seulement, eux aussi joués sous une forme mixte qui mêle voix et instruments. Le motet O gloriosa Regina mundi fait lui l’objet d’une présentation sous forme vocale puis instrumentale. Jaap van Benthem affecte encore à Tourout un Magnificat dont il a assuré la reconstruction.

Qu’on les juge fructueuses ou hasardeuses, ces entreprises musicologiques reflètent les transmutations inhérentes à une époque où les frontières de genre et de style n’étaient pas étanches. Et l’interprétation nous comble sur tous les paramètres, rigoureuse dans sa démarche, sensible dans sa réalisation, délectablement spatialisée dans la réverbération de l’église Saint-Laurent de Prague.

Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 8 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 



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