Premier disque de Joë Christophe : la clarinette sensible et intelligente qui n’a pas attendu le nombre des années

par

Idylle. Joseph Horovitz (*1926) : Sonatina for clarinet and piano. Philippe Gaubert (1879-1961) : Fantaisie. Claude Debussy (1862-1918) : Petite Pièce ; Première Rhapsodie. Mark Simpson (*1988) : Three Pieces for solo clarinet. Rebecca Clarke (1886-1979) : Morpheus pour alto et piano (transcr.). Francis Poulenc (1899-1963) : Sonate pour clarinette et piano. Eugène Bozza (1905-1991) : Idylle. Joë Christophe, clarinette. Vincent Mussat, piano. Février 2021. Livret en anglais, allemand, français. TT 62’20. Genuin GEN 21721

Depuis 2015, le label Genuin offre au lauréat du prestigieux concours allemand Internationale Musikwettbewerb der ARD l’opportunité de publier un CD. Recto et verso de ce premier album de Joë Christophe mentionnent en capitales qu’il s’y honora en 2019, mais on peut parier que le jeune clarinettiste pourra bientôt se dispenser de cette enseigne et communiquer sur son nom, tant cette livraison nous paraît ouvrir la voie à une carrière qui s’annonce brillante. Du moins, pardon, elle l’est déjà par ses apparitions à Paris, Berlin, Vienne, Salzbourg, Tokyo, et ses collaborations sous les baguettes de David Zinman ou Simon Rattle.

Avec son comparse Vincent Mussat, le frais diplômé du Conservatoire de Paris nous propose un programme varié, fédéré sous la bannière Idylle, titre d’une pièce d’Eugène Bozza qui dirigea de 1951 à 1975 le Conservatoire de Valenciennes que fréquenta Joë Christophe. Le récital franco-britannique ancré dans le XXe siècle s’ouvre par Joseph Horovitz, qui a fêté ses 95 ans en mai : sa Sonatina (1981) écrite pour Gervase de Peyer, qui l’enregistra peu après chez Chandos. Victoria Somaes Samek, Gianluca Campagnolo, Karl Leister : cette œuvre s’est installée au catalogue discographique de l’instrument, et s’enorgueillit ici d’une interprétation de grande classe, depuis l’impatiente efflorescence du allegro calmato jusqu’aux syncopes du con brio. La même élégance que l’on admire dans l’exécution des pièces dédiées à Prosper Mimart : la Fantaisie de Gaubert, la célèbre Rhapsodie de Debussy. Dans celle-ci, on apprécie comment Joë Christophe parvient à une fine caractérisation sans outrer l’émission, à étoffer les couleurs sans tomber dans la bigarrure. Son activité dans le domaine du jazz augurerait peut-être d’une lecture délurée de la Sonate de Poulenc qu’à New York inaugurèrent Benny Goodman et Leonard Bernstein. Toutefois la prestation très pure que nous entendons tend à classiciser cet opus qui y perd une part de son espièglerie au profit d’un esprit raffiné. Même pour le con fuoco final, bondissant mais pas vendu à Barnum. Une subtilité qui s’exprime aussi dans la délicate stratification de Morpheus dont l’essor onirique se frotte à l’eau morte ondoyant au clavier : une rêverie que Rebecca Clarke conçut pour l’alto et qui se fond ici en camaïeux lagunaires parfaitement adaptés à la clarinette.

En toutes ces pages, un jeu sobre et nuancé se marie à l’imagination du camarade pianiste qui anime, inspire, sans rien brusquer. Commandées à Mark Simpson pour l’édition 2019 du concours munichois de l’ARD où triompha notre soliste, les Three Pieces ont avec lui trouvé leur maître qui les travailla avec le compositeur pour en saisir les moindres effets et intentions. Rien d’ostentatoire, quoiqu’on imagine la difficulté dans le contrôle du souffle qui s’exprime parfois en liserés insaisissables. On doit saluer une restitution aussi intelligente que virtuose de l’extravagante troisième partie. Au-delà de l’impeccable technique légitimement attendue d’un artiste avec un tel cursus, on reconnaît tant de maturité, de sûre poésie et de conscience stylistique dans ce disque qu’on peine à croire que ce soit un premier. On fête en 2021 l’anniversaire de Saint-Saëns, dommage que ce florilège n’ait inclus sa Sonate qui introduisait le Made in France de Pierre Génisson (avec David Bismuth) paru voilà huit ans, lui aussi une remarquable entrée en scène. En tout cas, félicitations : voici une carte de visite chaleureusement recommandée à nos lecteurs !

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

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