Quatuors et autres pages chambristes de Penderecki

par

Krzysztof Penderecki (1933-2020) : Der unterbrochene Gedanke pour quatuor à cordes ; Quatuor pour clarinette et trio à cordes ; Quatuors à cordes, intégrale ; Trio à cordes. Jan Jakub Bokun ; Quatuor Meccore. 2021. Notice en allemand et en anglais. 71’ 44’’. Capriccio C5493.

Krzysztof Penderecki (1933-2020). Musique de chambre, volume III : Capriccio pour Siegfried Palm, pour violoncelle ; Pour Slava, pour violoncelle ; Danse, version pour violoncelle ; Violoncello totale, pour violoncelle ; Suite pour violoncelle seul ; Duo concertant pour violon et contrebasse, arrangement pour violoncelle par Maciej Kulakowski ; Sérénade pour trois violoncelles. 2022. Maciej Kulakowski, Marcin Maczyński et Michal Balas, violoncelles ; Maria Slawek, violon. Notice en polonais et en anglais. 56’ 25’’. Dux 1880.

Ces dernières années, les quatuors de Penderecki, qui s’étalent tout au long de sa carrière, ont bénéficié d’intéressants hommages discographiques. Qu’il s’agisse de l’intégrale des quatre (Quatuor Silésien/Chandos, 2021 ; Quatuor Tippett/Naxos, 2021) ou des trois premiers (Royal String Quartet/Hyperion, 2013 ; Quatuor Molinari, 2020), le choix est varié. Le 12 juillet 2021, nous avons présenté la version du Quatuor Tippett dans les colonnes de Crescendo. Nous y renvoyons le lecteur pour un descriptif détaillé de ces pages écrites en 1960, 1968, 2008 et 2016. Nous avons alors précisé, au sujet de ces interprètes, un engagement de chaque instant, assurant avec fougue, finesse et hauteur de vues toutes les nuances d’un parcours qui s’étale sur plus de cinquante ans. Les Tippett ajoutaient aux quatuors le Trio à cordes de 1990/91 et la très brève pièce Der unterbrochene Gedanke de 1988. Aujourd’hui, le Quatuor polonais Meccore, fondé en 2007 (Wojciech Koprowski et Aleksandra Bryla, violons ; Michal Bryla, alto et Marcin Maczyński, violoncelle), propose chez Capriccio un programme identique, auquel est ajouté, pour un minutage plus généreux, le Quatuor pour clarinette et trio à cordes

Si les Tippett nous avaient séduit par leur charge expressive, les Meccore nous fascinent encore plus. L’engagement est sidérant dans le Quatuor n° 1, qui accumule les effets sonores innovants (Penderecki a alors 27 ans) et l’impact rythmique, dans une débauche d’énergie et d’inventivité qui laisse sans voix. Cette explosivité de près de sept minutes est précédée, dans le programme, par les trois minutes de la grave méditation, proche de la manière de la Seconde Ecole de Vienne, de Der unterbrochene Gedanke (« la Pensée interrompue »), placée ici, pourrait-on dire, de façon inaugurale, avant le Quatuor pour clarinette et trio à cordes de 1993. Remplaçant le second violon, la clarinette insuffle aux quatre mouvements une atmosphère plus romantique (superbe Abschied), Penderecki ayant lui-même précisé qu’il avait auparavant redécouvert Schubert, même si l’audition fait plutôt penser aux partitions de la première moitié du XXe siècle. La brièveté de l’avant-gardiste deuxième quatuor, avec ses stridences et ses moyens percussifs, comme celle du quatrième, aux inflexions populaires et dansantes, sont éclipsées, malgré leur originalité, par la profondeur du Quatuor n° 3 de 2008 (« Extraits d’un journal non rédigé »), le plus long de la série : en dix-huit minutes, il semble résumer les différentes étapes d’un processus créatif où l’on retrouve silences inattendus, valse ébauchée ou intimité intensive, suggérée par le sous-titre. Penderecki s’y révèle particulièrement inspiré. Le Trio à cordes, très épuré (1990/91), clôture un programme passionnant, les quatuors venant se placer en tête de discographie. 

De son côté, le label polonais Dux ajoute un troisième volume à deux précédents, consacrés à un éventail de la production chambriste de Penderecki. Le premier (2014) proposait le Sextuor, des pages pour clarinette et piano, violon et alto ou instruments solistes, dont le cor. Le suivant (2017), centré sur le violoncelle joué par l’Allemand Jakob Spahn, présentait des similitudes de programme avec celui qui nous occupe aujourd’hui. A commencer par le Capriccio pour Siegfried Palm (1968), morceau d’une dizaine de minutes, à l’architecture complexe et aux recherches techniques. Il est suivi par un hommage à Rostropovitch, Pour Slava (1986), un peu moins de six minutes marquées de l’empreinte de Bach, entre expression nostalgique et emphase. Autres pièces solistes brèves : la miniature folklorisante Danse, d’abord conçue pour le violon (2016), et Violoncello totale (2011), six minutes contrastées et dissonantes. On y ajoute un Duo concertant (2010) pour violon et violoncelle, ici dans un arrangement de Maciej Kulakowski, et la Sérénade pour trois violoncelles (2007), un intime cadeau d’anniversaire du compositeur à son épouse Elzbieta, qui fut joué pour la première fois par d’autres amis : Arto Noras, Ivan Monighetti et Andrzej Bauer. La page la plus consistante de cet album est la Suite pour violoncelle seul, initialement Divertimento (1994), complété au fil des ans pour aboutir à sa version définitive en 2013. D’une durée globale d’une vingtaine de minutes, l’œuvre se caractérise par des innovations sonores (pizzicati, corde frappée par le bois de l’archet…), mais aussi par un lyrisme permanent, très marqué dans la Sarabande, l’expressif troisième mouvement, hommage à Bach. 

L’interprète des pages solistes de cet album, qui fait un peu doublon avec le volume II de cette série Dux, est Maciej Kulakowski (°1996), originaire de Gdansk, qui a été lauréat du Concours Reine Elisabeth en 2017 et joue sur un violoncelle Ruggeri, fabriqué à Crémone autour de 1700. Il propose un jeu souple et investi, qui sait se révéler chaleureux, fougueux ou poétique selon les nécessités. Sa Suite est particulièrement réussie et n’a rien à envier à celle que Jakob Spahn jouait il y a cinq ans pour le même label, auquel un article de Dominique Lawalrée faisait écho le 12 juin 2017. Les partenaires occasionnels (on retrouve parmi eux Marcin Maczyński, membre du Quatuor Meccore) sont en phase. Une fois de plus, abondance de biens ne nuit pas.

CD Capriccio :

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

CD Dux :

Son : 8  Notice : 8  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

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