Roberto González-Monjas, explorateur musical 360°

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Le chef Roberto González-Monjas est à Bruxelles pour un concert avec le Belgian National Orchestra dont il est l’un des chefs invités privilégiés, membre de l’équipe artistique de notre phalange nationale. Konzertmeister pendant de nombreuses années de l’Orchestre de l’Académie Sainte-Cécile de Rome, il s'est rapidement imposé comme l’une des baguettes qui comptent et que les orchestres s’arrachent. Il est également associé à d’autres phalanges à travers l’Europe : le Musikkollegium Winterthur, l’Orchestre Symphonique de Galice (Espagne) et le MozarteumOrchester de Salzbourg dont il prendra les rênes en septembre 2024. Nous le rencontrons à Bruxelles en marge de ses répétitions.

Vous êtes l’un des chefs d’orchestres attachés au Belgian National Orchestra. Pouvez-vous nous parler de cette collaboration ?

Notre collaboration a commencé en pleine période de Covid. C’était au paroxysme de cette période avec la possibilité de faire des concerts, mais dans des conditions très particulières : un public limité à 100 personnes, des musiciens séparés par d’épais plexiglas, des distances entre les musiciens, tout le monde masqué. Mais ce premier contact s’est très bien passé et nous avons ressenti une très belle entente. Peu de temps après, il m’a été demandé si je voulais intégrer la nouvelle équipe artistique aux côtés de Anthony Hermus et Michael Schonwandt et j’ai naturellement répondu positivement. Nous sommes dans la seconde année de ma fonction de chef invité principal et nous avons déjà exploré par mal de répertoires ainsi qu’une tournée au Royaume-Uni avec la Symphonie de César Franck.

Au programme des concerts de cette semaine, il y a une œuvre contemporaine de la compositrice suédoise Andrea Tarrodi, le Concerto pour piano n°3 de Béla Bartók et la Symphonie n°5 de Beethoven. Est-ce que ce mix alléchant d'œuvres de temps différents avec un écho contemporain est quelque chose que vous revendiquez ?

C’est très important pour moi ! Les trois partitions ont en commun une évocation des mondes tant intérieurs qu’extérieurs. La pièce d’Andrea Tarrodi renvoie à la nature et l’humanité ; le Concerto n°3 de Bartók est une pièce gorgée d’émotions, mais avec encore des échos de la nature, en particulier dans le second mouvement, alors que la partition, œuvre d’un compositeur mourant nous touche par ses climats, enfin la Symphonie n°5 de Beethoven nous émerveille par sa force, mais aussi son humanité. Ce sont des partitions dont se dégagent une positivité et une confiance, caractéristiques dont nous avons tant besoin en ces temps si sombres. Cette narration au fil des partitions m’est très chère.

Vous êtes le directeur musical désigné du MozarteumOrchester, l’un des grands orchestres européens. Avec cet orchestre, vous avez fait paraître un disque consacré à des Sérénades de Mozart (Berlin Classics). C’est un choix qui sort de l'ordinaire ! Pouvez-vous nous en dire plus ?

C’est le premier enregistrement que nous avons réalisé ensemble, également pendant cette période de Covid. Ce fut une étape importante dans notre collaboration où chacun a trouvé ses marques. Je trouve personnellement que les Sérénades de Mozart sont incroyablement sous-estimées, elles sont pour moi des merveilles musicales, admirablement écrites. Il me tient à cœur de montrer que ces Sérénades ne sont en rien superficielles et ennuyeuses, qualificatifs que l’on entend souvent. Elles sont tout l’inverse ! Bien sûr, j’adore les symphonies, mais les Sérénades ont une place spéciale dans mon cœur et quand elles sont interprétées avec passion, dévotion et inspiration, elles se révèlent merveilleuses. Le MozarteumOrchester est un orchestre à l’adaptabilité incroyable avec une fabuleuse ouverture aux idées nouvelles tout en les combinant avec un ADN unique car c’est l’orchestre qui a le plus joué Mozart de par le monde ! C’est comme conduire une Ferrari.

Est-ce que vous en envisagez une intégrale ?

Pas nécessairement ! L’enregistrement est un défi à bien des points de vue et on ne peut enregistrer que des œuvres où l'on peut être investi totalement et dont on connaît les moindres recoins. Mais nous allons poursuivre notre exploration de Mozart avec les concertos pour violon dont j'assurerai aussi la partie soliste tout en dirigeant. C’est un rêve pour moi car ce sont des partitions que je joue très régulièrement depuis des années. Je suis très impatient pour cette session !

Vous semblez avoir une connexion particulière avec Mozart ?

En effet, tant pour Mozart que pour Salzbourg ! J’ai effectué une partie de mes études de violon au Mozarteum, c’était ma première expérience hors d’Espagne. Quant à Mozart, il est incroyablement difficile ! Si vous comparez à Haydn ou Beethoven, ces d’immenses compositeurs sont assez directifs dans la manière d’orienter nos interprétations et nos conceptions. Avec Mozart, il y a bien sûr des indications pour nous guider, mais il faut travailler tant le contexte historique que sa biographie pour comprendre son geste artistique. Mozart fait de nous de meilleurs musiciens car il faut élever notre niveau à tant de points de vue et d’aspects. Il faut du temps et des heures de travail pour s'immiscer au mieux dans son univers. C’est difficile, mais une fois imprégné et immergé dans ce monde, c’est une somme incroyable de satisfactions et de bonheurs. Quand la connexion se fait, c’est très addictif ! Mozart m’occupe chaque jour de ma vie, il est un compagnon quotidien, un ami.

Ce n’est pas fréquent car de nombreux chefs d’orchestre évitent Mozart du fait de sa difficulté !

Mozart est très difficile pour tout le monde, et pour moi aussi. Mozart est un “juge” impitoyable pour chaque musicien ! Ce n’est pas pour rien que les auditions de musiciens d’orchestre inscrivent systématiquement au programme un concerto de Mozart. Mozart est un révélateur incroyable, c’est un impitoyable scanner et il n’est pas possible de tricher car cela s'entend tout de suite !

Quand on pense à Salzbourg, on pense à “tradition”. Est-ce que le concept de “tradition” a une importance pour vous ?

Cette notion m’interpelle car en espagnol entre “tradition” (tradición) et “trahison” (traición), il y a juste une lettre de différence. D’un côté la tradition est bien évidemment importante et nous ne devons pas perdre cette transmission qui passe de génération en génération. Cependant, il faut questionner la tradition. Comme musicien, je ne peux pas me satisfaire d'une action interprétative avec l’argument que “tout le monde a toujours fait comme cela”. Mon travail de musicien est d’examiner : qu’est-ce que la tradition ? De questionner le pourquoi de cette tradition. Parfois cela fait sens, parfait cela n’a pas de sens. Nous ne devons pas avoir peur de nous éloigner des habitudes, mais sans vouloir les abandonner au prétexte d’être simplement en rupture ou pire, en se découvrant provocateur, sans respect pour la musique. Tout est une question d’équilibre !

Mozart c’est aussi l’opéra. Est-ce que vous envisagez de passer par la fosse avec votre orchestre ?

Le MozarteumOrchester possède un poste de kapellmeister qui a la charge des représentations lyriques et cela ne fait pas partie des servitudes de mon mandat de Directeur musical. Cependant, c’est en effet une perspective à laquelle nous travaillons. Il est impossible de bien comprendre Mozart sans interpréter ses opéras et ils sont de tels chefs d'œuvres !

Vous avez été Konzertmeister  de l’un des plus grands orchestres du monde et vous avez décidé de devenir chef d’orchestre. Qu’est-ce qui vous a motivé à passer du pupitre de leader au podium de maestro ?

Ce ne fut pas une décision brutale. Beaucoup de personnes, y compris de ma famille et de mes proches, m’ont souvent dit que je devais devenir chef d’orchestre. J’étais intéressé par l’orchestre dans sa globalité et la conception musicale qui en découle, en particulier dans l’esprit du chef. Mais être chef d’orchestre, c’est un défi car il y a des exigences techniques, musicales, artistiques, mais aussi humaines à surmonter. Il faut être toujours à 100% pour tous ces aspects. Au fur et à mesure du temps, il m’est apparu qu’il me fallait être entièrement concentré sur la direction d’orchestre et m’y investir pleinement. Je continue bien sûr de jouer du violon, mais il m'était indispensable de passer chef d’orchestre à temps plein au risque d’être insatisfait. 2019 a été ma première saison comme chef d’orchestre “full time”.

Vous êtes également actif en Amérique du Sud avec la Iberacademy. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?

L’Amérique du Sud est un continent hautement musical avec des jeunes incroyablement talentueux. Il y a de multiples programmes qui permettent aux jeunes de se familiariser avec des instruments. C’est, évidemment, très positif ! Cependant, passer le cap de devenir professionnel n’est pas aisé. Nous accompagnons ainsi des jeunes qui peuvent envisager de devenir professionnels et nous les aidons en les connectant avec des professeurs, en participant à leurs développements professionnels avec des coachings et des rencontres, à les connecter ensemble avec des orchestres ou des concerts de musique de chambre. Nous souhaitons qu’ils deviennent des acteurs du futur, des acteurs du changement. Comme je le dis souvent, je n’aime pas pêcher des poissons pour les autres, mais leur apprendre à pêcher pour eux-mêmes.

Le site de Roberto González-Monjas : www.robertogonzalezmonjas.com

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Marco Borggreve

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