Une intégrale symphonique pour saluer le centenaire de Sir Malcolm Arnold 

par

Sir Malcolm Arnold (1921-2006) : Symphonies n° 1 à 9, intégrale ; Suites de danses, intégrale. National Symphony Orchestra of Ireland ; Queensland Symphony Orchestra, direction Andrew Penny. 1995-2000. Notice en anglais. Un coffret de six CD Naxos 8.506041.

Le nom de Sir Malcolm Arnold devrait être familier pour tous les amateurs de films. Il est en effet l’auteur de la musique du célèbre Pont de la rivière Kwai (1957, récompensé par un Oscar), ainsi que d’une centaine de productions cinématographiques pendant plus de cinquante ans, dont certaines ont fait date, comme L’auberge du sixième bonheur, Salomon et la reine de Saba, Soudain l’été dernier, Les héros de Télémark ou Le lion, d’après le roman de Joseph Kessel. Cette prodigalité pour le milieu du cinéma a peut-être en partie occulté son très abondant catalogue où l’on retrouve encore deux opéras, des ballets, de la musique de scène, des pages symphoniques en grand nombre, une vingtaine de concertos et de la musique de chambre. Cet originaire de Northampton étudie la trompette (la découverte de Louis Armstrong l’y a incité), la composition et la direction d’orchestre au Royal College of Music de Londres. La période de la Seconde Guerre mondiale est mouvementée : objecteur de conscience, il est exempté après avoir été versé au service incendie, mais en 1944, il se porte volontaire après la mort de son frère au combat. Il rejoint le Philharmonique de Londres comme trompettiste solo de 1946 à 1948, poste déjà occupé de 1942 à 1944 avant son incorporation. Mais sa vraie vocation, c’est la composition, dans laquelle il fait ses preuves dès l’âge de vingt-cinq ans.

Le centenaire de la naissance de ce compositeur prolifique, au don mélodique naturel et au style accessible, ce qui lui a valu les faveurs du public, est célébré par Naxos qui propose en un coffret la réunion de six CD parus séparément, offrant l’intégrale de ses neuf symphonies, complétée par les six cycles de danses qui illustrent des régions du Royaume-Uni et ont fait beaucoup pour la renommée d’Arnold. Ces danses anglaises (deux suites), écossaises, cornouaillaises, irlandaises et galloises ont été écrites entre 1950 et 1988. Les rythmes et les couleurs dominent cette série de pages brèves aux accents tour à tour tendres, mélancoliques ou exubérants, dans des orchestrations habiles, parfois solennelles, marquées d’une inspiration populaire qui leur sert de socle, sans en être une simple reproduction. Ces pages divertissantes sont très bien rendues par le Queensland Symphony Orchestra, une phalange australienne que dirige Andrew Penny (°1952). Ce chef né à Hull a étudié à Manchester puis avec Sir Charles Groves et Sir Edward Downes. Il s’est spécialisé dans la musique de son pays, gravant pour Marco Polo ou Naxos de nombreuses partitions de Brian, Walton, Vaughan Williams, Sullivan, Holbrooke, Coates et quelques autres, ouvrant ainsi bien des perspectives sur cette musique anglaise trop peu jouée chez nous. Les six suites de danses ont été enregistrées en décembre 1995, en présence du compositeur. Leur interprétation très dynamique est particulièrement séduisante.

C’est également en présence de Sir Malcolm Arnold que ses neuf symphonies ont été gravées par le même Andrew Penny, entre 1995 et 2000, cette fois avec le RTÉ National Symphony Orchestra of Ireland, fondé en 1948, que de célèbres chefs ont dirigé par le passé (Sir John Barbirolli, Jean Martinon, Hans Schmidt-Isserstedt…). Les mélomanes qui découvriront peut-être pour la première fois ces partitions vont vivre une aventure passionnante. C’est sans doute dans ces œuvres foisonnantes, aux sonorités brillantes, sombres ou grandioses, savamment orchestrées, dans un langage musical qui retient sans cesse l’attention, que se trouve l’essence même de l’inspiration du compositeur. L’aventure commence en 1949 avec la Symphonie n° 1 op. 22 dont le climat général évoque en filigrane les univers de Sibelius ou de Nielsen. Arnold n’était pas friand de Wagner, ni très enthousiaste de la création elgarienne. Il admirait par contre Vaughan Williams et l’on ne peut s’empêcher de penser dans le mouvement central, un Andantino, à l’atmosphère mystérieuse de la musique du film L’épopée du capitaine Scott, qui date de 1948, et d’où naîtra quatre ans plus tard l’extraordinaire Sinfonia antarctica. Le ton de la Symphonie n° 2 op. 40 (1953) est à la fois ludique et inquiétant, avec sa part de soleil mais aussi un orageux Allegro con brio final très réussi. Dans la Symphonie n° 3 op. 63 (1957) qui fait appel à un orchestre bien cuivré, on admirera, après un lumineux Allegro-Vivace, un élégiaque Lento qui ne peut cacher son évocation de la Symphonie n° 4 de Sibelius, disparu trois mois avant la création de la partition de Sir Malcolm. Changement complet avec des éléments latino-américains très présents et des percussions en folie (marimbas, bongos, toms) dans la Symphonie n° 4 op. 71 (1960). Des émeutes raciales avaient éclaté précédemment dans le quartier londonien de Notting Hill ; Arnold a écrit dans un article paru en 1971 qu’il avait voulu soutenir par sa musique l’idée de l’intégration sociale. Cette partition spectaculaire, si l’on ignore de telles motivations, relève de toute façon du pur plaisir orchestral. 

Au cours de cette décennie 1955-1965, productive en grandioses musiques de films, Arnold compose sa Symphonie n° 5 op. 74 (1961), sorte de mémorial en hommage à des amis morts trop jeunes, parmi lesquels le corniste Dennis Brain (1921-1957) ou l’humoriste, caricaturiste et joueur de tuba Gerard Hoffnung (1925-1959). Des émotions contrastées nourrissent une composition entre tristesse, motifs nonchalants voire alanguis, sentiments tragiques et tensions ; des commentateurs ont vu dans l’Andante con moto une sorte de confession mahlérienne. Arnold écrit sa Symphonie n° 6 op. 95 six ans plus tard. A l’habituelle écriture mélodique vient s’ajouter l’univers du jazz. Il est intéressant de noter qu’un an après la première publique, Arnold dirige son œuvre le 4 septembre 1969 au Royal Albert Hall de Londres, juste avant de créer au cours de la même soirée le Concerto of Group Orchestra écrit par Jon Lord pour Deep Purple. En moins de vingt-cinq minutes, Arnold fait preuve d’une réelle inventivité en mélangeant fragments rythmiques, cuivres décalés, cordes galopantes, bossa nova alors très en vogue et démonstration de puissance. Nouvel intervalle de six ans avant l’écriture de la Symphonie n° 7 op. 113 (1973), composée lors d’un séjour à Ischia, dans la villa « La Mortella » de Sir William Walton, et dédiée à ses trois enfants, Katherine, Robert et Edward, dont l’un a des tendances autistiques. L’Andante con moto central, d’une grande austérité, a des accents grinçants qui rappellent ceux de Chostakovitch, notamment de sa poignante Symphonie n° 15 écrite deux ans auparavant. 

Au milieu des années 1970, Arnold fait un séjour en République d’Irlande. Il y met au point sa Symphonie n° 8 op. 124 (1979) et y introduit un air irlandais utilisé dans un film dramatique de 1969, The Reckoning, avec Jack Nicholson. Il faudra encore attendre sept autres années pour découvrir l’ultime Symphonie n° 9 op. 128 (1986), sorte de chant du cygne en quatre mouvements, la relative brièveté des trois premiers, dont un Allegretto très pastoral, étant prolongée par un Lento final de vingt-trois minutes dont la concentration émotionnelle est particulièrement sensible et émouvante. 

Servie par un son qui fait la part belle aux cuivres et aux percussions qu’Arnold met souvent en évidence, l’interprétation de ces neuf symphonies par le National Symphony Orchestra of Ireland, mené par un Andrew Penny inspiré, est une incontestable référence. Sa mise en coffret est une réjouissante initiative, d’autant plus, répétons-le, qu’Arnold est un compositeur à fréquenter sans hésitation. Elle vient se placer aux côtés d’autres versions des années 1990, décidément riches en gravures arnoldiennes, à savoir l’intégrale parue chez Chandos, entamée par Richard Hickox et poursuivie par Rumon Gamba, et celle que Sony a remise sur le marché en 2016. Cette dernière regroupe, dans un très économique coffret de onze CD (avec toute une série de concertos), les enregistrements parus précédemment chez Conifer, les symphonies étant dirigées par Vernon Handley à la tête de plusieurs formations, le compositeur étant aussi présent à certaines sessions. Ces intégrales sont toutes les trois de qualité, le choix sera donc affaire de goût. 

On n’oubliera pas non plus un CD EMI de 1990 où l’on trouve une extraordinaire Symphonie n° 2, conduite par Sir Charles Groves à la tête du Bournemouth Symphony Orchestra en 1976. Elle est couplée avec une moins convaincante Symphonie n° 5 dont se charge lui-même Arnold. Ce dernier, qui a laissé aussi d’autres témoignages de ses oeuvres chez Lyrita (Symphonie n° 4, suites de danses) n’est pas le meilleur garant de l’exécution de sa musique, avec une curieuse tendance à allonger les tempos. On n’est pas nécessairement le meilleur transmetteur de son propre message…

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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