Sagesse et frénésie avec Claude Ledoux

par

Claude Ledoux (1960 -) : Japanese e-mails. Nao Momitani. 56’16 – 2021 – Livret en : français, anglais et japonais. Cypres. CYP8613. 

Dès l’adolescence, le petit Claude, émerveillé de l’inaccessible beauté des femmes japonaises, les croque dans les marges de ses cahiers, mais c’est la rencontre, via un bibliothécaire avisé, avec la musique contemporaine et les musiques non européennes (il y côtoie le gagaku et ces instruments typiques que sont le biwa ou le shamisen), couplée à une commande du Festival de Wallonie en 1983 et aux transcriptions de chansons traditionnelles japonaises qu’Henri Pousseur ramène alors d’un voyage au Japon, qui ancrent Claude Ledoux dans ce qui devient peu à peu une immersion : périples répétés, rencontre puis mariage avec celle qui aujourd’hui interprète (avec une grande finesse) les œuvres encapsulées sur ce disque -qui paraît à l’occasion d’un double anniversaire : les soixante ans du compositeur, les trente ans du label.

Une petite heure de musique d’une maturité sensible, d’un équilibre émouvant, d’une éloquence diablement retenue, que Nao Momitani, qui fait bien plus que prêter ses mains à l’esprit fin à l’œuvre dans l’écriture de ces courriels japonais, évoque, à juste titre même si avec une certaine emphase, comme des pièces tendres, qui nous « touchent comme elles ont su toucher mon cœur bouleversé » et comme l’éclosion d’un univers sonore issu de la rencontre de cultures, aussi différentes qu’entrelacées.

Dans un cycle qui trace un lien cosmique entre l’éclatement des atomes dans l’espace et celui du timbre dans le piano caisse de résonance, Courbes d’étoiles I et Courbes d’étoiles II, Étoiles Doubles, deux morceaux plus anciens, s’affirment et prennent place, sûrs de leurs droits, presque conquérants, quand l’intime Courbes d’étoiles III, L’étoile sombre de Kobe marque l’émergence d’une relation, aujourd’hui forte de vingt ans entre lui et elle, où des vents contraires (le décès d’une mère, la naissance d’une relation amoureuse) portent des sentiments duels mais avides de coexister, et que Courbes d’étoiles VI conclut la série -Ledoux le dédicace à Momitani- par un écho nostalgique -et une pensée aux victimes de la catastrophe de Fukushima.

Les Japanese e-mails, qui donnent son titre au disque, au nombre de trois et destinés à trois musiciens du Japon, s’inscrivent, chacun à sa manière (avec une rudesse bienvenue pour Japanese E-mail 1 - To : Dai Fujikura, la fuite sinueuse de l’anguille pour Japanese E-mail 2 - To : Sachiko Nomura, une hésitation feinte pour Japanese E-mail 3 - To : Toshio Hosokawa) dans cette résistance à la hâte de l’époque, à la frénésie d’hyper communication, au legs incommensurable de traces aussi individuelles que vaines et sans cesse répétées : notre cerveau a mieux compris l’insignifiance des actes quotidiens et répétés, qui s’économise et n’en retient que le schéma plutôt que chaque occurrence -alors à quoi bon documenter, sur un quelconque réseau (dit) social qui fond les glaces du Nord suédois, chacun de nos dîners, chacune de nos humeurs ?

Shô…(z) – extrait de L’Album à la Jeunesse ouvre un disque (enregistré à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth) qui rehausse de fierté la simplicité du piano seul, tenu sans ambiguïté par Nao Momitani, d’une présence singulière.

Son : 8 – Livret : 7 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.