Une Purcell connection défile sur le clavecin de Jean-Luc Ho
Purcell & Friends. Oeuvres de François Roberday (1628-1680), Henry Purcell (1659-1695), Maurice Greene (1696-1755), Orlando Gibbons (1583-1625), John Blow (c1649-1708), Jean-Henry d’Anglebert (1629-1681) & anonymes [BNF, man. Rés. 1186 fol.4v-5r ; British Library, man. Add MS 31446 fol. 38v]. Jean-Luc Ho, clavecin. Livret en français et anglais. Août 2020. TT 61’39. Musica Ficta MF8037
Sous un titre qu’au sens strict on pourra estimer controuvé, sauf concernant John Blow, cette anthologie rapproche Henry Purcell de compatriotes -antécesseurs (Orlando Gibbons) ou suiveurs (Maurice Greene). Mais aussi d’une précédente génération de claviéristes sous le règne de Louis XIV, incarnée par Jean-Henry d’Anglebert et François Roberday dont une archaïsante et sévère Fugue introduit ce florilège. Le compositeur de King Arthur occupe les deux tiers de ce programme structuré par tonalités, et qui explore quelques parentés de genre ou d’esthétique. Le choix des pièces reflète diverses facettes de son art et de son inspiration. Influence française pour la Suite de danses (Suites II et VII, Chaconne en sol mineur ZT. 680), influence italienne pour la Sonate en trio (Z. 794). Au gré de transcriptions, Jean-Luc Ho rend hommage au dramaturge (Dance for Chinese Man and Woman extraite du semi-opéra The Fairy Queen), autant qu’à l’organiste de l’abbaye de Westminster et de la Chapelle royale : le Volontary Z. 719 s’enchaîne à un Volontary de Maurice Greene, sous guise d’un Largo ensuite décliné en contrepoint fugué.
Deux illustres prédécesseurs à ces tribunes londoniennes sont invités. Orlando Gibbons prête une Fantasia pour consort, en riche polyphonie imitative, dont les six parties s’inscrivent ici dans l’espace du clavier. Quant à John Blow, dont une centaine d’opus furent compilés par Robert Klakowich (Musica Britannica, MB73, éd. 1998), Jean-Luc Ho déjoue les attentes en retenant une brève page sans titre, tirée d’un manuscrit (Christ Church, Oxford). Ce sont également deux manuscrits, conservés à la BNF et à la British Library, qui fournissent d’une part une transcription de madrigal à trois voix que la musicologie attribue sans certitude à Thomas Wilkinson ou Thomas Morley, et d’autre part un verse d’auteur anonyme, copié par un élève de Blow.
Si l’on admet que Purcell fut avant tout un homme de théâtre, ce récital ne pourrait mieux s’achever que sur une des plus célèbres tragédies représentée à l’époque sur la scène parisienne : Armide (1686) de Jean-Baptiste Lully dont la Passacaille arrangée par D’Anglebert foisonne dans un virtuose décor d’agréments. Cette flamboyante péroraison sert enfin d’antichambre à une Chaconne ZT. 680 qui sera incorporée à un Masque de Thomas Shadwell (c1642-1692), l’année même où s’éteignait celui à qui cet album est dédié, ouvrant ainsi un regard sur sa postérité, -que des cloches captées dans le lointain rendent d’autant plus émouvant.
Ce disque est servi sur un magnifique clavecin, réalisé pour Blandine Verlet en 2005, et copié par Émile Jobin d’après un instrument du Toulousain Vincent Tibaut (1691). Sa texture opulente, impériale dans les premières octaves, excède peut-être les prétentions des prémices virginalistes, mais rayonne de tout son spectre dans le versant dix-septiémiste. Son aigu racé, sans acidité, intégré à un médium charnu mais limpide, triomphe dans le haut et dolent registre de la Passacaille d’Armide. Les micros de Ken Yoshida ne laissent rien perdre de ce somptueux bouquet de timbres. Quelle parade dans les plaquages de la Danse des Chinois ! On connaît trop le talent de Jean-Luc Ho pour devoir convaincre de la splendeur de son interprétation, pétrie de juste style, de sensibilité attentive au texte (quitte à de subtiles hésitations à la fin de l’Almand en sol mineur), et capable de flagrants effets : quel ébouriffant transport pour la conclusive Canzona de la Sonate en la mineur !
Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 10
Christophe Steyne