Premier hommage à Luc Bondy
De Valerio Tura (La Monnaie).
Je viens d'apprendre la disparition prématurée de Luc Bondy. J'ai eu le privilège et le plaisir de travailler avec lui à trois reprises au Théâtre Royal de la Monnaie, à Bruxelles.
Deux fois sur des opéras écrits par son ami Philippe Boesmans : une reprise de Wintermärchen de Shakespeare et la nouvelle production de Julie, opéra de chambre sur la pièce de Strindberg où Bondy a travaillé aussi sur le livret . La troisième, c'était sur une co-production du Tour d'écrou de Britten.
Ses interprétations de ces trois opéras étaient trois chefs-d'œuvre de mise en scène de théâtre musical. Bondy était un artiste très exigeant, déterminé, parfois têtu voire fantaisiste, mais toujours très rigoureux, minutieux, grave, sévère, avec lui-même d'abord. Il était intimement imprégné et ancré dans le théâtre, instinctif et spontané.
Avec Bondy, après Chéreau et Ronconi, nous avons perdu l'un des plus grands, un des plus authentiques metteurs en scène de ces dernières décennies: un véritable innovateur, mais jamais, jamais gratuitement provocateur. Ses productions n'ont pas toujours été pleinement réussies. Sa Tosca controversée et sa Clemence de Titus ne sont pas complètement convaincante. Mais je me souviens aussi sa production exceptionnelle de Hercules de Haendel, à Aix-en-Provence.
J'ai eu avec lui, immédiatement, une relation aisée et chaleureuse, peut-être aussi parce que nous pouvions échanger en italien, une langue qui le charmait. C'était un homme cultivé, bien élevé, doux, un homme d'esprit. Dans les moments de liberté, nous pouvions parler de beaucoup de choses, pas seulement de théâtre et de musique. Je garde le beau souvenir d'une nuit où, avec une bonne bouteille de Chianti, nous avons eu une longue discussion sur les écrivains italiens modernes: Bondy voulait en savoir plus. Nous avons parlé de Pier Paolo Pasolini, dont il connaissait le travail, surtout du côté du cinéma, et nous avons parlé de Italo Calvino, qu'il ne connaissait pas.
Le lendemain, j'ai offert à Bondy un petit cadeau: deux livres de Calvino en traduction française. Quelque temps plus tard, quand nous nous sommes revus, il voulait savoir si Calvino avait écrit pour le théâtre ... La dernière fois que nous nous sommes parlé, je l'appelais pour lui demander s'il pouvait rencontrer un compositeur italien, un ami qui voulait lui parler d'un projet sur lequel il travaillait. Bondy a été immédiatement disponible ... "Donne-lui mon numéro de téléphone, il peut m'appeler quand il veut ...".