La musique pour chœur et orchestre de Brahms : une évolution en forme d’hommage

par

Johannes BRAHMS
(1833 – 1897)
Schicksalslied op.54, Alt-Rhapsodie op.53, Warum ist das Licht gegeben op.74/1, Begräbnisgesang op.13, Gesang der Parzen op.89

Ann Hallenberg, mezzo-soprano, Collegium Vocale Gent, Orchestre des Champs-Elysées, Philippe Herreweghe, direction
2011 – DDD – 56’48’’ – Texte de présentation en allemand, anglais et français – Phi - Outhere – LPH 003


Ami de la famille Schumann et digne successeur de Mendelssohn, Brahms est l’un des compositeurs les plus appréciés et joués de notre époque. Célèbre pour ses symphonies et ses pièces pour piano, Philippe Herreweghe propose ici cinq œuvres pour chœur et orchestre. Accompagné du Collegium Vocale Gent et l’Orchestre des Champs-Elysées, le chef belge rassemble deux formations exceptionnelles dont il est soit fondateur soit directeur musical. Que dire après l’écoute de ce disque ? Une sensation d’apaisement rarement entendue. Le Chant du destin, tiré d’un poème éponyme de Friedrich Hölderlin présente deux facettes totalement opposées, la sphère divine et éternelle des esprits et l’humanité en souffrance. Cette antinomie est caractérisée par des procédés d’écriture saisissants : une partie sereine en mib majeur et un Allegro mouvementé au ton relatif mineur. Conclusion étonnante avec le retour du prélude orchestral en do majeur après un moment d’hésitation. Aucun souci pour le chef et ses musiciens, belle interprétation, maitrise des pupitres et de la voix, aucune exagération. La Rhapsodie pour alto, chœur d’hommes et orchestre, interprétée ici par Ann Hallenberg (mezzo), présente le désarmement de Brahms devant l’annonce des fiançailles de Julie Schumann. Ecrivant un « chant nuptial » pour cette dernière, on a plus le sentiment d’une œuvre autobiographe, un être perdu, isolé en quête de l’amour. Sur des extraits des strophes de Harzreise im Winter de Goethe, on est face à une œuvre fragmentaire où le solo de l’alto renvoie à la douleur subie par Brahms. L’entrée du chœur d’hommes dans un ton plus généreux nous amène à une fin lumineuse où la tranquillité se fait appréciée. L’homogénéité du chœur et la musicalité de la mezzo sont justes dans cette œuvre, tout y est. Le premier Motet op.74 est une synthèse des différents écrits de Brahms sur l’Ancien Testament. Quatre parties pour une œuvre apaisée où le chœur a cappella se démarque par ses richesses vocales où chaque note à chaque voix aura une signification particulière. Herreweghe modèle ce motet avec beaucoup d’imagination et à la fois avec une simplicité qui rend l’œuvre émouvante. Le Chant funèbre qui suit nous emporte dans un paysage sombre. Première œuvre de Brahms conçue pour chœur et ensemble instrumental, œuvre de jeunesse donc, utilisant des vents et timbales, le côté dramatique est mis en avant. Sur des strophes d’un lied sacré de Michael Weisse (1531), les pratiques musicales du passé sont présentées ici comme une sorte d’hommage. Excellente intonation du chœur avec un texte compréhensible où les contours mélodiques sont maitrisés et chantés avec pertinence. Enfin, le Chant des Parques est la dernière œuvre pour chœur et orchestre de Brahms. Sur le drame d’Iphigénie en Tauride de Goethe, on est dès le départ emmené dans un tourbillon instrumental. Après ce prélude teinté d’émotion, le chœur intervient de manière rythmique. Cette précision se fait goûtée dès lors que le texte allemand est audible. Lors des passages dramatiques, l’orchestre ne dépasse jamais le chœur, c’est un ensemble homogène qui s’oriente vers une modulation majeure qui caractérise l'effet que doit ressentir l’auditeur à l’écoute de Es wenden due Herrscher. Comme souvent, Brahms rend ici hommage aux techniques du passé avec un chœur presque récitatif et pourtant dans des tonalités extrêmes. La fin est dépouillée où l’on sent l’évolution du langage de Brahms.
Un disque cohérent où l’on estime le travail accompli par Herreweghe tel un sculpteur et ses musiciens. Très belles qualités vocales tant pour le chœur que la soliste et un travail de finesse pour l’orchestre qui rend ce disque passionnant.

Ayrton Desimpelaere

Son 10 – Livret 10 – Répertoire 10 – Interprétation 9

 

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