Les Fleurs du mal…

par

Henri DUTILLEUX
(°1916)
Correspondances pour soprano et orchestre, Tout un monde lointain… pour violoncelle et orchestre, The Shadows of time pour orchestre avec trois voix d’enfants
Barbara Hannigan, soprano - Anssi Karttunen, violoncelle - Esa-Pekka Salonen, direction - Orchestre Philharmonique de Radio France
2013 – DDD – 67’4’’ – Texte de présentation en allemand, en anglais et en français – Deutsche Grammophon – 4791180 GH

Evoquer Baudelaire – et la synesthésie – a du sens lorsque l’on parle du compositeur français Henri Dutilleux. Pour cette parution, trois œuvres totalement différentes s’unissant malgré tout par le lien texte/musique. Correspondances (2003), pour soprano et orchestre est inspiré du poème au même nom de Baudelaire, et c’est cela la volonté du compositeur, écrire de la musique la plus proche du texte. Sonorités instrumentales, recherches de timbres, utilisation inhabituelle du matériau, voilà ce qui nous attend dans ce disque. Utilisant des textes/lettres de Soljénitsyne, Vincent van Gogh et Rilke, Dutilleux rend plusieurs hommage en disposant une grande partie de violoncelles lorsqu’il s’agit de la lettre de Soljénitsyne à Rostropovitch pour le remercier de l’aide du musicien dans sa résistance contre le régime soviétique. On retrouve aussi une citation de la lamentation de l’Idiot sur le sort de la Russie, moment bouleversant de cette partition. Autre hommage avec La Nuit étoilée de van Gogh où Dutilleux emprunte douze notes à l’une de ses œuvres, Timbres, espace, mouvement. Une œuvre envahie d’émotion, exécutée avec précision par la soprano Barbara Hannigan. A la demande de Dutilleux, Esa-Pekka Salonen enregistre cette œuvre avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France qu’il connaît bien où l’on sent à l’écoute la direction prise par le chef finlandais qui maitrise les masses orchestrales et qui parvient à obtenir les nuances et couleurs qu’il souhaite. Pour Tout un monde lointain…, commande de Rostropovitch (1961), le titre provient d’un autre poème de Baudelaire, La Chevelure. Cinq mouvements qui reprennent des extraits du recueil et qui présentent à chaque fois leurs ambiances propres, évoquées par le titre : mystérieux pour Enigme, ambiance maritime pour Houles... Anssi Karttunen joue de son violoncelle avec brio et trouve les sonorités requises par l’œuvre. Sans le texte, il est facile de percevoir l’atmosphère du poème et sa symbolique. Salonen laisse de la liberté au violoncelliste contrôle les pupitres avec minutie et détermination dans les passages plus tourmentés. Pour la dernière œuvre, The Shadows of Time (1997), cinq épisodes réunis la tristesse, l’angoisse, bref l’histoire du 20ème siècle. Trois voix d’enfants (garçons) évoquant ici la pureté et la fraîcheur selon Salonen. Hommage ici à Anne Frank avec les mots "Pourquoi nous ? Pourquoi l’étoile ?" qui se réfèrent à l’étoile jaune portée par les juifs lors de la seconde guerre mondiale, on est saisi et même mal à l’aise par le troublant réalisme de cette référence. L’agitation de l’orchestre précise cette sensation et la tristesse qu’elle évoque sera présente tout au long de l’œuvre.
Ce voyage bouleversant au pays de la synesthésie nous présente les qualités de composition de Dutilleux qui selon Salonen est l’un des plus grands compositeurs de notre siècle et du siècle passé. Très bel ouvrage donc qui ravira les mélomanes de la musique moderne.

Ayrton Desimpelaere

Son 10 – Livret 10 – Répertoire 10 – Interprétation 10

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