Weinberg honoré dans sa Varsovie natale

par

Mieczyslaw WEINBERG
(1919-1996)
Concerto pour violon en sol mineur, op. 67
Symphonie n° 4 en la mineur, op. 61
Ilya Gringolts (violon) Orchestre de la Philharmonie Nationale de Varsovie, dir. : Jacek Kaspzyk
2015 -DDD -61’56 - Textes de présentation en polonais et anglais - Warner Classics 08256 4 62248 3 8A chaque nouvelle parution discographique d’oeuvres de Mieczyslaw Weinberg, on est tenté de se dire que l’heure de ce grand compositeur est enfin venue et que la gloire qu’il mérite ne devrait plus trop longtemps se dérober à lui. Pourtant, son nom continue d’être tristement absent des programmes des grandes sociétés de concerts, et même ses concertos, pourtant parfaitement écrits, continuent d’être ignorés par les solistes qui pourraient se les approprier pour renouveler un répertoire qui en a bien besoin.
Après le récent enregistrement de ce concerto par Linus Roth (Channel Classics), c’est maintenant de Varsovie que nous vient ce nouvel enregistrement, de la ville natale que le très prometteur pianiste qu’était alors Weinberg quitta au début de la deuxième guerre, fuyant les persécutions antisémites de l’occupant nazi où il perdit toute sa famille pour l’URSS, où via Minsk (où il prit des cours de composition) et Tachkent, il finit par arriver à Moscou grâce à l’intervention de Chostakovitch qui avait été impressionné par les compositions de son jeune collègue, connu dorénavant comme Moisei Samuilovitch Vainberg.
Si la position de Weinberg ne fut pas toujours des plus faciles en URSS -à la fois en raison de son origine étrangère et de son judaïsme qui lui valut, lors de la vague de persécutions lancée par Staline contre les intellectuels et artistes juifs, d’être arrêté arbitrairement au début de 1953 et de passer 11 semaines dans les geôles de la Loubianka dont il ne sortit qu’à la faveur du décès du dictateur le 5 mars 1953- la période de dégel qui succéda au stalinisme fut particulièrement heureuse pour le compositeur, puisqu’il put enfin faire entendre plusieurs de ses oeuvres dans des conditions optimales, interprétées par des musiciens de premier plan et rapidement enregistrées par la firme discographique d’Etat Melodiya.
Les deux oeuvres enregistrées ici témoignent, une fois de plus, de la parenté de cette musique avec celle de Chostakovitch (les deux compositeurs s’appréciaient d’ailleurs grandement), mais il serait faux de ne voir en Weinberg qu’un médiocre épigone de l’illustre compositeur. Composé en 1959, le concerto pour violon fut créé en 1961 par Leonid Kogan, par ailleurs dédicataire de l’oeuvre. Curieusement, l’Allegro molto initial -magnifiquement orchestré- est un scherzo mordant qui fait cependant régulièrement place à de beaux moments de lyrisme. L’Allegretto qui lui succède fait, par une certaine lourdeur voulue, parfois penser à Moussorgski (on songe à Samuel Goldenberg ou à Bydlo dans les Tableaux d’une exposition). On y trouve aussi de beaux passages inspirés des folklores russe, polonais et surtout juif, avec ces petits mélismes qu’affectionnait aussi Chostakovitch. (Dimitri Dimitrievitch n’est -une fois de plus- jamais loin, même si la musique de Weinberg est loin d’être une imitation et encore moins une copie servile de celle de son aîné). Deuxième mouvement lent, l’Adagio commence dans un atmosphère rêveuse pour en arriver à une touchante profondeur de sentiment. Comme Chostakovitch (on pense à la Passacaille du Premier concerto pour violon), Weinberg a cette capacité a soutenir la tension par des lignes mélodiques étonnamment simples. L’Allegro risoluto final, résolument optimiste à la Prokofiev, incorpore également des éléments polonais et juifs. Aussi à l’aise dans les passages de grande virtuosité que capable d’un lyrisme sincère, Ilya Gringolts nous offre une magnifique interprétation, avec un chef et un orchestre fortement impliqués.
Créée elle aussi en 1961 par l’Orchestre Philharmonique de Moscou sous la direction de Kirill Kondrachine, la Quatrième symphonie s’ouvre sur un Allegro plein de vitalité et de motorique à la Hindemith, et l’on y trouve aussi de très beaux passages pour bois dont la transparence rappelle par moments l’art de Martinu. Mais c’est l’influence de Mahler qu’on ressent dans les mouvements centraux: appels de trompettes et chants d’oiseaux, solos impertinents des vents sur fond de caisse claire ou pizzicati aux cordes graves dans l’Allegretto; solo de cor introductif, motif poignant aux violoncelles, solo de clarinette de style klezmer dans l’Adagio. Puisant à nouveau dans les folklores polonais, russe et juif chers au compositeur, le Vivace final voit l’oeuvre se terminer sur une note de gaieté parfois un peu forcée. Bénéficiant comme dans le Concerto d’une excellente prise de son, chef et orchestre défendent l’oeuvre avec brio. (On sera moins élogieux pour la typographie retenue pour le livret qui en rend la lecture pour le moins malaisée).
Patrice Lieberman

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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