Dirk Altmann visite Mozart

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Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791) : Quintette pour clarinette, deux violons, alto et violoncelle K. 581 ; Deux Lieder adaptés pour clarinette et pianoforte « Abendempfindung » K. 523 et « An Chloe » K.524 ; Concerto pour clarinette K. 622. Dirk Altmann, clarinette et clarinette de basset ; Ludwig Chamber Players ; Membres de l’Orchestre symphonique SWR, piano et direction : Masato Suzuki. 2019. Livret en anglais, allemand et français. 68.10. SACD TACET S252.

Même si elle existe déjà à l’époque de Mozart, la clarinette n’est pas d’un usage courant. Le compositeur a un frère en maçonnerie, Anton Stadler (1753-1812), qui en est un virtuose indiscuté. En 1789, Mozart a de gros problèmes : ses ressources financières sont peu nombreuses, il est endetté, son épouse est malade et il se sent isolé. C’est pour son ami intime qu’il va composer son Quintette, partition qui est la première à faire du quatuor à cordes et de la clarinette de vrais partenaires et qui, malgré les soucis de Mozart, est d’un caractère global doux et tendre. C’est une parfaite réalisation d’intégration de l’instrument aux cordes. La clarinette de basset pour laquelle l’œuvre est écrite est une clarinette qui permet de jouer des notes inférieures complémentaires, ce qui lui donne une sonorité spécifique, à la fois chaude et brillante, mais aussi soutenue par « la voix intérieure » du compositeur, comme l’indique avec opportunité le titre de la notice du livret. Le raffinement est présent, comme l’expressivité et le chant, proches du rôle que le compositeur donnera à la clarinette dans Cosi fan tutte ou dans La Flûte enchantée, à travers une symbolique maçonnique. Quant au célèbre Concerto de 1791, il s’inscrit, malgré la mort proche du compositeur, dans une période féconde, celle du dernier concerto pour piano, de La Clémence de Titus, bientôt du Requiem. Mozart achève l’orchestration au tout début du mois d’octobre de cette année, funeste pour lui. Comme dans le Quintette avec lequel les points communs sont nombreux, il met en évidence toutes les richesses sonores de l’instrument, lui insufflant un style souple et profond, avec un timbre unique que les autres pupitres de l’orchestre viennent renforcer et transformer en une vaste incantation lumineuse et chaleureuse. Dans la production de Mozart, le Quintette et le Concerto figurent parmi ses chefs-d’œuvre les plus inspirés. Le programme est ici complété par les adaptations de deux superbes lieder, la clarinette jouant avec subtilité un rôle analogue à l’intensité ou à la délicatesse de la voix.

Ce CD est une splendeur pour l’oreille : il a été somptueusement enregistré en janvier 2017, et même si l’on ne dispose pas chez soi de l’équipement recommandé « pour bénéficier pleinement de la finesse sonore de ce SACD, c’est-à-dire du « surround 5.1 » (cinq enceintes + 1 enceinte pour les graves), la sensation globale sur une chaîne de qualité est celle d’une amplitude jouissive, d’une grande clarté et d’une présence enveloppante du son. Quant à l’interprétation, elle est digne de tous les éloges. Clarinettiste solo de l’Orchestre Symphonique de Stuttgart, chambriste, pédagogue et arrangeur, Dirk Altmann a collaboré pendant de longues années avec Roger Norrington. Né à Hanovre en 1965, où il a effectué ses études musicales, il a été conseillé par Karl Leister pendant deux ans. Il compte à son actif des enregistrements de Debussy, Koechlin, Schumann, Hindemith, Prokofiev… Altmann magnifie les partitions de Mozart dans un contexte de liberté suggestive, au centre duquel le phrasé est enrichi de sonorités éblouissantes, rondes et distillées avec élégance. On nage en pleine euphorie stylistique, Il n’oublie jamais la dimension opératique qui se dessine en filigrane ni l’univers intime que les notes dévoilent. Ses partenaires sont au diapason : couleurs chaleureuses, partage lyrique, timbres attentifs au chant collectif. On sent le bonheur de jouer ensemble, à tous les niveaux -à souligner, la beauté du violon de Kei Shirai, sous la direction ciselée, dans le concerto, de Masato Suzuki qui est aussi le complice d’Altmann au clavier pour les deux lieder adaptés. 

On notera un clin d’œil bienvenu sur la pochette du CD : Dirk Altmann, penché sur deux ou trois grosses boules de couleurs vives, fait semblant d’utiliser sa clarinette comme s’il s’agissait d’une queue de billard, allusion amusante au fait que l’ami de Mozart, le virtuose Anton Stadler, était aussi un joueur invétéré sur le tapis vert. Une autre forme d’art…

Son : 10  Livret : 8  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

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