Adolf Barjansky : première mondiale de l’œuvre pour piano par Julia Severus

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Adolf Barjansky (1851-1900) : Œuvres complètes pour piano, volume 1 : Pièces de fantaisie op. 9 ; Sonate pour piano n° 1 ; Six Pièces pour piano op. 10. Julia Severus, piano. 2020. Livret en anglais et en allemand. 64.17. Grand Piano GP796.

La pianiste Julia Severus (°1968) s’est formée à l’Université des Arts de Berlin et au Conservatoire Tchaïkowski de Moscou, où elle a eu notamment pour professeur Lev Naoumov qui fut l’élève et l’assistant de Heinrich Neuhaus. Lors de ses études en Allemagne, elle a publié une dissertation sur Jean-Sébastien Bach. Intéressée par des répertoires peu courants, elle a enregistré pour Naxos ou pour Grand Piano, pour deux pianos et à huit mains, des transcriptions de partitions romantiques russes, des suites de ballets de Tchaïkowski, et en solo, des transcriptions de Rachmaninov, des pages de jeunesse de César Franck et l’œuvre complète pour piano de Bizet. Elle propose cette fois le premier volet d’une intégrale des compositions pour le clavier d’Adolf Barjansky. Il s’agit d’un premier enregistrement mondial pour ce créateur dont le nom ne parle guère aux mélomanes.

Né à Odessa, Adolf Barjansjy y suit les cours d’un élève de Vaclav Tomasek, le virtuose pragois Ignaz Tedesco qui sera aussi le professeur de Rosalia Kaufman, concertiste renommée et mère de Boris Pasternak, l’auteur du Docteur Jivago.
Barjansky poursuit sa formation à Leipzig auprès de Carl Reinecke, à Vienne et à Paris. Il s’installe définitivement avec sa famille dans sa ville natale, où, en généreux donateur, il aide financièrement l’Institut pour Aveugles, ainsi que des initiatives locales.
La notice signée par Julia Severus elle-même nous fournit ces informations car Barjansky fait partie des compositeurs « oubliés », y compris des dictionnaires et des anthologies. Un texte bien nécessaire pour cerner quelque peu la personnalité et l’œuvre de Barjansky qui est le père de trois musiciens : sa fille Melitta a été violoniste, son fils Mikhaïl pianiste et son autre fils, Alexandre (1883-1946), célèbre violoncelliste, dédicataire de Schelomo de Bloch et créateur du Concerto de Delius en 1923. 

Le catalogue d’Adolf Barjansky est court. Il semble n’avoir composé qu’un petit nombre d’œuvres entre 1892 et sa disparition prématurée en 1900 : de la musique de chambre et des pièces pour piano. Dans ce premier volume, Julia Severus propose trois pages où on sent l’influence de Beethoven, Brahms ou Schubert, mais aussi de Liszt pour les grandes envolées, sans oublier cette atmosphère russe qui rappelle Balakirev ou Tchaïkowski. Les Pièces de fantaisie op. 9 datent de 1895. Ces six pièces assez breves s’ouvrent par un fracassant Presto suivi d’un Andante lyrique. Une ironie ludique apparaît dans un Allegro giusto ma vivo et un Allegretto plus intense. Barjansky se laisse ensuite aller dans le contexte nonchalamment nostalgique d’un nouvel Andante, avant de conclure par un Con moto tranquillo pensif. Rien ici n’est révolutionnaire mais tout est attrayant : on pense à une musique de salon bien tournée, aux accents tourmentés, puis élégiaques.

La Sonate n° 1 précède de deux ans les Pièces de fantaisie. C’est une composition de forme classique. Le véhément Allegro maestoso, aux accents bien accentués, est partagé entre octaves ascendantes et descendantes très virtuoses et moments expressifs, avec une coda très cadencée. Le Maestoso est gai et divertissant alors que le Presto, avec sa section nocturnale à composante onirique, apporte une densité qui va s’épanouir dans un Final vif et passionné, aux vastes élans. Le programme se poursuit avec les Six Pièces pour piano op. 10 de 1896. Julia Severus évoque au sujet de cette œuvre une publication allemande du temps signalant que ce cycle est « de la très bonne musique de piano, parfois un peu orientale, mais originale la plupart du temps ». L’audition le confirme, et on y ajoutera une atmosphère impressionniste : la première pièce, Près de la mer, évoque des vagues dynamiques et leurs mouvements déferlants. Le Souvenir qui suit se développe de façon nostalgique dans un Andante non troppo raffiné. Une paisible Berceuse précède un Scherzo capricieux que l’affirmation de la Maison heureuse, cinquième pièce du recueil, replace dans un contexte impressionniste nuancé. Le tout s’achève dans une Dévotion recueillie, en forme de romance intime, qui se souvient de Mendelssohn.

Voilà une découverte intéressante, bien servie par Julia Severus qui montre à quel point elle croit à cette entreprise de résurrection à laquelle elle insuffle toute son énergie, mais aussi toute sa capacité émotionnelle. Rien de révolutionnaire, nous l’avons dit, mais ces pages plaisantes, simples dans leur conception, avec une qualité mélodique qui charme le cœur et l’esprit, se révèlent attractives et méritent que l’on s’y attarde.

Son : 9  Livret : 8  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

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