Un précieux coffret de six CD pour le souvenir du violoniste Louis Kaufman

par

Ernest Chausson (1855-1899) : Concert pour violon et quatuor à cordes op. 21. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Concerto pour violon et orchestre n° 3 op. 61 ; Havanaise op. 83. Bohuslav Martinú (1890-1959) : Sonate pour deux violons et piano H.123 ; Cinq Pièces brèves pour violon et piano H. 184. Richard Strauss (1864-1949) : Sonate pour violon et piano. Frederick Delius (1862-1934) : Sonate pour violon et piano n° 1. Darius Milhaud : Danse de Jacarémirim pour violon et piano op. 26 ; Concerto pour violon et orchestre n° 2 op. 63. Felix Menfdelssohn-Bartholdy (1809-1847) : Concerto pour violon et orchestre op. 64. César Franck : Sonate pour violon et piano. Samuel Barber (1910-1981) : Concerto pour violon et orchestre op. 14. Aaron Copland (1900-1990) : Sonate pour violon et piano. Robert Russell Bennett (1894-1981) : A Song Sonata, pour violon et piano ; Hexapoda, cinq études pour violon et piano. Camargo Guarnieri (1907-1993) : Sonate pour violon et piano n° 2. Quincy Porter (1897-1966) : Sonate pour violon et piano n° 2. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Les Quatre Saisons ; Concertos pour violon et orchestre RV 178 et 332 ; Concerto pour deux violons et orchestre RV 513….Louis Kaufman, violon ; Peter Rybar, violon ; Artur Balsam, Pina Pozzi, Theodore Saidenberg, Paul Ulanowsky, Hélène Pignari, Aaron Copland et Robert Russell Bennett, piano ; Quatuor Pascal ; Orchestre Philharmonique Néerlandais, direction Mauritz van der Berg et Otto Ackermann ; Orchestre National de la Radiodiffusion française, direction Darius Milhaud ; Musical Masterpieces Symphony Orchestra, direction Walter Goehr ; The Concert Hall Orchestra, direction Henry Swoboda ; Orchestre symphonique de Winterthur, direction Clemens Dahindens. 1940-1954. Notice en allemand et en anglais. 414.30. Un coffret de six CD Profil Hänssler PH21019.

Né à Portland dans l’Orégon le 10 mai 1905, Louis Kaufman est issu d’une famille juive roumaine qui a émigré. Elevé dans un milieu intéressé par la culture, repéré par Minnie Powell (1867-1920), créatrice aux Etats-Unis des concertos pour violon de Tchaïkowski et Sibelius, et soutenu par Efrem Zimbalist (1889-1985), élève de Léopold Auer, le jeune Louis entame ses études à New York à l’âge de treize ans et fait ses débuts de soliste dans la même ville en 1928. Attiré par la musique de chambre, il se produit avec plusieurs quatuors et est un partenaire de Pablo Casals, Jascha Heifetz ou Gregor Piatigorsky. Il se marie en 1932 avec la pianiste Annette Leibole (1914-2016), avec laquelle il donnera des concerts en duo et qui publiera, après le décès de son mari, des souvenirs rédigés par ce dernier. Le destin musical de Louis Kaufman va prendre une autre dimension lorsqu’après une émission de radio, le réalisateur Ernst Lubisch lui propose un solo de violon dans un film de 1934, La Veuve joyeuse, dans lequel Maurice Chevalier et Jeanette McDonald jouent les premiers rôles. La prestation de Kaufman laisse une telle impression qu’une collaboration cinématographique de grande ampleur s’ensuit. Bientôt, il est une célébrité à Hollywood. On va le retrouver dans plusieurs centaines de films dont des grandes productions comme Les Raisins de la colère, Autant en emporte le vent, Rebecca, Wuthering Heights, The Sound of Music ou Spartacus. Carrière classique et « derrière l’écran » vont aller de pair pendant longtemps. Kaufman enregistre abondamment, son renom et l’apparition de nouvelles techniques de reproduction après la Seconde Guerre mondiale lui étant favorables. Des sources avancent que Kaufman serait le violoniste le plus enregistré de l’histoire ! Il va en tout cas réussir un coup de maître en la matière.

En 1950, le Grand Prix du Disque est attribué à une gravure réalisée trois ans auparavant, celle des Quatre Saisons de Vivaldi, qui va lancer la formidable attirance que les quatre concertos vont désormais engendrer. C’est avec le Concert Hall Chamber Orchestra dirigé par Henry Swoboda que Louis Kaufman lance la mode vivaldienne, bientôt suivie par d’autres formations. Ce violoniste aux multiples intérêts, qui joue, selon les circonstances, sur un Stradivarius, un Guadagnini ou un Vuillaume, signe de belles versions du répertoire classique (Mendelssohn, Saint-Saëns…), crée plusieurs concertos de ses contemporains, notamment de Copland, Milhaud ou Martinú, et est le premier à enregistrer le Concerto pour violon de Samuel Barber. Il se consacre aussi largement à la musique de chambre, dans un répertoire peu fréquenté. Installé à Los Angeles, Kaufman donne des concerts jusqu’à la fin des années 1970, mais il subit alors une opération des yeux qui entraîne son retrait de la vie publique. Il décède le 9 février 1994. 

Ce coffret de six CD Profil Hänssler est particulièrement représentatif de l’art de Louis Kaufman dont des labels comme Lys, Dutton ou Naxos avaient déjà évoqué la mémoire. La présente sélection a été faite avec doigté et dessine un portrait significatif de son art dans les années 1940 à 1955. Quant à la qualité sonore, retravaillée compte tenu de l’ancienneté des gravures, elle est très satisfaisante. Le choix démontre l’éclectisme du violoniste, tant dans le domaine chambriste que concertant. Le Concert de Chausson (novembre 1950), avec Artur Balsam au piano et le réputé Quatuor Pascal dans sa formation initiale, et la Sonate de Franck avec Hélène Prigari (1954) témoignent d’une réelle compréhension du lyrisme français. Artur Balsam -dont le même label a récemment proposé un coffret de haute volée (notre article du 16 mai dernier en des pages), où figurait déjà le même Concert de Chausson, mais aussi une sonate de Hindemith non reprise ici)- est un partenaire régulier pour des pages de Richard Strauss, Darius Milhaud, Camille Guarnieri ou Quincy Porter, prestations soignées et d’un bel équilibre. Comme le sont les sonates de Delius avec Theodore Saidenberg, de Copland (au piano) ou de Russell Bennett, abondant compositeur pour le cinéma. 

On est séduit par la sonorité de Kaufman, large et chantante, avec un vibrato qu’il contrôle mais auquel il laisse souvent une place teintée d’émotion. C’est le cas dans un Concerto n° 3 de Saint-Saëns sans effets inutiles, mais encore plus dans l’opus 64 de Mendelssohn, joué dans un noble geste romantique ; il s’agit de gravures de 1955 et 1952 qu’un orchestre néerlandais soutient avec sobriété. Kaufman affronte avec une réelle aisance les difficultés du Concerto de Barber au début des années 1950, sous la direction de Walter Goehr. On découvrira aussi le Concerto n° 2 de Milhaud, conduit par le compositeur. L’éditeur a eu la bonne idée d’insérer les fameuses Quatre saisons de 1947, dont l’étonnante approche pionnière apparaît aujourd’hui comme un témoignage dépassé, d’un autre temps, mais dont l’inscription dans la discographie mérite bien un rappel historique. On notera encore la belle intelligence d’interprétation, en complicité avec le violoniste suisse Peter Rybar (1913-2002) dans des pages pour deux violons de Vivaldi ou de Martinú. Quelques pièces brèves (Ave Maria de Schubert, Méditation de Thaïs de Massenet, Londonderry Air de Kreisler…) avec, au piano, Paul Ulanowsky qui a été longtemps l’accompagnateur de la soprano Lotte Lehmann, complètent l’ensemble et révèlent les côtés poétiquement charmeurs de Louis Kaufman. Un coffret bienvenu, qui comblera les amateurs des grands violonistes du passé.

Son : 7,5    Notice : 5    Répertoire : 10    Interprétation : entre 9 (Mendelssohn) et 4 (Vivaldi)       

Jean Lacroix

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