Pour les Quatuors prussiens de Mozart, la souplesse dynamique des Chiaroscuro

par

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quatuors prussiens n° 21 en ré majeur K 575, n° 22 en si bémol majeur K 589, et n° 23 en fa majeur K 590. Quatuor Chiaroscuro. 2020. Notice en anglais, en allemand et en français. 86.53. SACD BIS-2558.

Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume, neveu de Frédéric le Grand, était un habile violoncelliste, ce qui ne manqua pas d’avoir une influence sur la composition par Mozart, pendant les années 1789/1790, des trois Quatuors prussiens. Ces derniers auraient dû être au nombre de six mais le compositeur, qui travaillait dans le même temps à Cosi fan tutte et était en proie à des difficultés morales et financières, n’alla pas jusqu’au terme prévu. La notice de Richard Wigmore n’accrédite pas l’habituelle thèse d’une commande du roi de Prusse, mais estime vraisemblable que Mozart ait voulu lui dédier ces quatuors, dans l’intention d’une récompense. Par nécessité d’argent, il n’alla pas au-delà des trois premiers, qu’il qualifia de « travail laborieux » et les vendit à un éditeur viennois, leur publication ne contenant pas de dédicace. 

La volonté de départ de Mozart de plaire au roi de Prusse et à son attrait pour le violoncelle est manifeste dans le Quatuor K 575 de 1789, œuvre aimable, d’une certaine décontraction, avec des thèmes enjoués et lyriques. On partage l’avis de Richard Wigmore qui évoque une part de la chaleur méditerranéenne sensuelle de Cosi fan tutte. Dans une atmosphère diaphane, le violoncelle est avantagé, avec de beaux aigus, comme dans l’Andante plein de charme sentimental, où le dialogue avec le premier violon prend des accents séducteurs. Les autres instruments participent à ce gracieux ensemble de mouvements dont le Quatuor Chiaroscuro souligne bien l’expressivité, le violoncelle tissant des liens tendus et généreux avec ses collègues.

Fondé en 2005, le Quatuor Chiaroscuro dont la composition est très internationale (Alina Ibragimova, originaire de Russie, et l’Espagnol Pablo Hernán Benedi aux violons, la Suédoise Emilie Hörnlund à l’alto et la Française Claire Thirion au violoncelle), joue sur des instruments à cordes de boyau. Il compte déjà à son actif plusieurs albums consacrés aux périodes classique et romantique. Nous avons accueilli avec enthousiasme les gravures de l’opus 76 de Haydn (article du 28 février 2021) et des trois premiers quatuors de Beethoven (article du 20 décembre 2021). Dans ce K 575, on savoure la capacité de Claire Thirion à manier son violoncelle de manière à ce qu’il remplisse la fonction qui lui est assignée, mais toujours dans un souci de partage. On se laisse facilement envoûter par une chaude atmosphère générale qui relève de la fragilité décontractée.

Près d’un an a passé lorsque Mozart écrit le Quatuor K 589. Comme dans le K 590 qui va suivre, on peut découvrir, sous des aspects plus obscurs, la souffrance de Mozart et l’influence de l’opéra sur lequel il a travaillé. L’Allegro initial se déroule dans un style concertant assez détendu, l’instrument favori du monarque assumant des moments qui auraient pu convenir au jeu de l’illustre violoncelliste amateur dans un Larghetto qui semble couler de source. Mais dès le menuet, une allure plus sombre se dessine dans l’expression, elle va s’accentuer dans l’Allegro assai conclusif qui se colore de dramatisation et même de violence contenue. Quant au K 590, il présente des aspects que certains commentateurs ont pu qualifier d’ambigus, entre nostalgie et vivacité, d’autres les estimant rudes et ascétiques, avec un retour à l’esprit de Haydn, auquel l’Allegro final rend un hommage sous-jacent. On y décèle en tout cas une tendance « expressionniste » que l’on peut assimiler à l’état d’esprit du compositeur face aux difficultés de l’existence.

Comme dans les autres programmes qu’il a servis, le Quatuor Chiaroscuro apporte la maturité de son lyrisme, son analyse des nuances et la plénitude de sa complicité. Même lorsque le climat est plus austère, il conserve, dans son dialogue, une part de lumière, d’engagement contrôlé et de fougue maîtrisée. Il est capable de sculpter des traits qui confinent à l’épure, sans jamais diluer un discours qui demeure toujours solidaire et valorisant. Cette belle gravure nous est proposée deux ans et demi après son enregistrement, en novembre 2020, dans la salle Britten de Snape Maltings, dans le Suffolk. L’attente est récompensée par la qualité de l’interprétation, un minutage généreux (près de 87 minutes !) et une prise de son d’une remarquable transparence.

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix  

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