Karol Anbild, populaire en Pologne, mais méconnu hors frontières
Karol Anbild (1925-2008) : Concerto pour piano et orchestre ; Echos des Monts Sainte-Croix, pour orchestre ; Rhapsodie pour piano et orchestre. Artur Jarón, piano ; Orchestre Symphonique de Kielce, direction : Jacek Rogala. 2024. Notice en polonais et en anglais. 47’08’’. Dux 1796.
En 1949, Karol Anbild rejoignait l’Orchestre Philharmonique de Silésie en qualité de contrebassiste. Quatre ans plus tard, après avoir décroché un diplôme de direction, il devenait chef assistant de la même formation, tout en travaillant pour la station régionale de la cité de Katowice et en composant pour des films d’animation. En 1954, il était appelé comme second chef de l’Orchestre symphonique provincial de Kielce, important centre de commerce et de culture du sud de la Pologne, au milieu des Monts Sainte-Croix, un ensemble de sept collines à un peu plus de cent kilomètres de Cracovie. Le contact avec les musiciens fut si satisfaisant que lorsqu’il fut nommé à Lublin peu de temps après, il fut rappelé pour prendre la direction artistique et musicale de la phalange de Kielce, ce qui fut concrétisé en 1957. Karol Anbild occupa cette fonction pendant trente-trois ans, tout en enseignant dans l’école de musique du lieu. Pendant cette longue période, il fut une figure dominante de la vie locale.
La notice de la pianiste Anna Parkita, dont nous nous inspirons, nous apprend que son parcours antérieur avait été cependant très bousculé. Originaire de Katowice, Il était né dans une famille dont le père, qui faisait partie d’un brass band, lui avait appris des rudiments musicaux. Mais l’envahissement de son pays par les Nazis allait entraver les études du jeune Karol. Déporté à quinze ans comme travailleur dans une ferme, dont il s’échappa, il entreprit son éducation musicale à Katowice, interrompue à nouveau en 1943. Enrôlé de force dans l’armée allemande, il fut envoyé en France, d’où il déserta pour rejoindre les Forces Armées Polonaises en exil au Royaume-Uni, prenant poste en Écosse, où il donna des concerts pour les soldats avec un ensemble qu’il avait fondé. Après la guerre, Anbild poursuivit sa formation à Katowice comme contrebassiste puis, entre 1949 et 1953, étudia la composition et la direction d’orchestre. Il avait toutefois modifié son patronyme, le caractère trop germanique de ce dernier risquant de lui être préjudiciable dans la Pologne d’après-guerre. Il adopta le nom de sa mère et ne reprit celui de son père qu’en 1958, peu après sa nomination à Kielce. La suite fut heureuse : Anbild connut une carrière unanimement appréciée, qui lui valut de multiples honneurs.
Sa production en tant que compositeur est postérieure à la Seconde Guerre mondiale. On trouve dans son catalogue des pages symphoniques et chorales, de la musique de chambre, ainsi que pour l’écran et le théâtre. Son inspiration puise largement dans le folklore de la Silésie, en particulier dans la chanson populaire, et aussi dans l’ambiance des collines environnant Kielce. Il leur dédiera en 1999 ses Échos des Monts Sainte-Croix, un poème symphonique postromantique, qui magnifie la beauté du site et exalte ses espaces grandioses de façon pittoresquement colorée. Cette page imagée, dont la durée de neuf minutes est idéale pour une ouverture de concert, fait penser, avec son orchestration riche et éloquente, aux paysages musicaux destinés au cinéma.
Les Échos figurent ici entre deux partitions concertantes. Populaire en Pologne où il a été joué dans maintes localités, le Concerto pour piano et orchestre de 1982 est de style néo-classique, marqué par des influences de Szymanowski, Prokofiev et Chostakovitch. C’est une page virtuose de structure classique, en trois mouvements, l’Andante/Allegro initial débutant dans un calme qui laisse rapidement la place à une vitalité pleine de contrastes. L’Andantino énonce une expressivité qui permet aux violons, à la clarinette et à la flûte de créer un dialogue avec un piano en recherche de perpétuelle conversation. Un spectaculaire et énergique Allegro, enjeu de prédominance entre le soliste et l’orchestre, conclut avec fougue ce très plaisant concerto. Composée en 1994, la Rhapsodie pour piano et orchestre baigne dans une atmosphère bien différente. Dans un style jazzy, cette brillante page percussive de treize minutes se présente comme un hommage à Gershwin, avec des réminiscences de Rhapsody in blue et du Concerto pour piano du New-Yorkais. L’effervescence domine une partition haute en couleurs, rythmée et spectaculaire.
Le pianiste Artur Jarón, créateur de cette Rhapsodie sous la baguette de Karol Anbild en 1995, à Kielce, dont il est originaire, est un interprète familier de la partition, dont il traduit la vitalité comme un feu d’artifice musical. Sa virtuosité, mais aussi son expressivité, se déploient tout autant dans le Concerto pour piano. Formé à Cracovie et à Odessa, cet artiste a signé de nombreux disques pour le label Dux. L’Orchestre symphonique de Kielce rend un bel hommage au compositeur qui a forgé sa renommée nationale pendant plus de trois décennies. Mené par un efficace Jacek Rogala, à sa tête depuis 2001 (la formation aime la stabilité), il donne aux pages méconnues de son prédécesseur tout l’engagement qu’elles réclament.
Les compositions de Karol Anbild n’ont sans doute pas révolutionné la musique, mais leur séduction immédiate mérite qu’on leur prête attention. Le présent album intéressera les amateurs de raretés, même si, selon une habitude qui devient trop régulière, le label Dux a une fâcheuse tendance à proposer des disques dont la durée, à l’ère du compact, est des plus réduites.
Son : 8,5 Notice : 10 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Jean Lacroix