Chostakovitch, contradictions des temps
Dimitri Chostakovitch (1906- 1975) : Scherzo, op.1 ; Scherzo, Op.7 ; Symphonie n°1 en fa mineur ; Symphonie n°3, Op.20 “1er mai”. Hallé Choir, direction : Matthew Hamilton ; BBC Philharmonic Orchestra, direction : John Storgårds. 2024. Livret en français, anglais et allemand. 75’06’’. Chandos. Chan 20398.
Suite de l'intégrale des Symphonies de Chostakovitch par John Storgårds au pupitre du BBC Philharmonic de Manchester, après des albums centrés sur les Symphonies n°13 et n°14, retour aux années de jeunesse avec les Symphonies n°1 et n°3 et en prélude les brefs Scherzo Op.1 et Op.7 proposés en ouverture de disque.
Ces deux scherzos sont des œuvres de prime jeunesse. Si le Scherzo, Op.1, composé à l’âge de 13 ans est l’exercice, sans trop de personnalité encore, d’un jeune homme très doué, le Scherzo, Op.7 est déjà bien plus original avec une énergie communicative et une forme d’ironie qui n’est pas sans évoquer le Divertissement de Jacques Ibert. John Storgårds dirige assez lentement et de manière précautionneuse, cela fait ressortir des lourdeurs, en particulier dans le Scherzo, Op.1
On passe à tout autre chose que ces apéritifs avec la fabuleuse Symphonie n°1, l’une des plus grandes œuvres du compositeur. Composée par un tout jeune homme, elle est explosive et virtuose, témoignant déjà d’une incroyable maîtrise de l’orchestration. John Storgårds dirige avec une certaine lenteur, ce qui semble être la marque de son approche globale de ces Symphonies. Bien évidemment, on est ici face à Chostakovitch, orchestral, dénervé de sa narration ou de toute portée historique. Pourtant, il est possible d’allier cette approche avec un impact, comme l’a très bien montré Mark Wigglesworth dans son intégrale pour le label Bis, sans perdre de vue également les lectures passionnantes de Vladimir Jurowski (Pentatone) ou Vasily Petrenko (Naxos).
Changement de ton, avec la très expérimentale Symphonie n°3 “1er mai”, témoignage des années où l’innovation musicale était permise dans l’URSS pas encore sous la coupe réglée du stalinisme. Comme la Symphonie n°2, cette partition chorale, est bien mal aimée et jamais jouée en dehors d”intégrales. On peut apprécier les rythmes tournoyants avec insistance, comme son écriture diatonique. Le final, malgré le texte assez indigeste de Semyon Isaakovich Kirsanov, glorifiant la 1er mai et la Révolution d’octobre, se montre percussif et dynamique avec une énergie que l’on ne pas ne pas rapprocher du final de Symphonie n°9 de Beethoven. John Storgårds, toujours lent, construit une architecture un peu carrée qui manque d’entrain, que ce soit narratif ou d’impact….Mark Wigglesworth, dans une optique instrumentale et vocale, est encore bien supérieur, sans perdre de vue l’excellence Dimitri Kitaenko (Capriccio) ou l’acuité de Vasily Petrenko (Naxos), pour ne rester qu’à des références assez récentes. Dans l’absolu, tant de versions s’avèrent supérieures : des historiques Kondrashin ou Rojdestvenski, chez Melodiya ou Neeme Järvi (DGG), Mariss Jansons (Warner), Rudolf Barshaï (Brilliant) et Bernard Haitink (Decca).
Tout au long de ce disque, le BBC Philharmonic est techniquement resplendissant avec une dynamique renversante, une beauté plastique des pupitres fabuleuse (quels vents !) et une grande précision rythmique. Dans la Symphonie n°3, le Hallé Choir est également magistral d’homogénéité et de projection, du grand art ! La phalange de Manchester est superbement enregistrée comme toujours avec Chandos. On regrette juste un chef sans vision particulière qui fait que cette galette va rester dans le ventre mou d’une discographie particulièrement relevée.
Son : 10 Notice : 9 Répertoire : 8/10 Interprétation : 6