Trois compositrices pour de la musique de chambre hautement romantique 

par

Impressions romantiques. Marie Jaëll (1846-1925) : Sonate en la mineur pour violoncelle et piano. Louise Héritte-Viardot (1841-1918) :  Sonate en sol mineur pour violoncelle et piano op. 40. Hedwige Chrétien (1859-1944) : Lied (Soir d’automne) ; Trois pièces pour violoncelle et piano. Natacha Colmez, violoncelle ; Camille Belin, piano. 2024. Notice en français et en anglais. 75 minutes. Présence Compositrices PC005.

Il y a trois ans, Présence Compositrices, dont Claire Bodin est la directrice du Centre de ressources et de promotion et Jérôme Gay le directeur du label, a publié son premier album. Il s’agissait de pièces pour piano de Marie Jaëll, jouées par Célia Oneto Bensaid. Voici déjà la cinquième parution, consacrée à trois créatrices et à des œuvres romantiques dont certaines font l’objet d’une première discographique. 

Marie Jaëll est à nouveau mise en valeur, et c’est amplement mérité.  Cette Alsacienne d’origine, née Trautmann, fit ses études au Conservatoire de Paris et épousa en 1866 le pianiste et compositeur autrichien Alfred Jaëll, de quatorze ans son aîné, qu’elle connut à Baden-Baden et avec lequel elle fit des tournées européennes. Les époux ont tenu salon à Paris, mais Marie devint veuve à 35 ans. Elle enseigna et écrivit plusieurs ouvrages pédagogiques. Son catalogue se décline en pages orchestrales, en musique de chambre, en pièces pour le piano, auxquelles s’ajoutent des mélodies et un opéra.

Sa Sonate pour violoncelle et piano, aux vastes dimensions (près de 35 minutes) est une partition généreuse, marquée par l’influence du romantisme allemand, et plus spécifiquement de Schumann et Brahms. Le lyrisme y foisonne, avec ampleur, dès l’Allegro appassionato initial, avant un Presto enlevé, qui fait la part belle au développement rythmique. L’Adagio révèle une densité méditative, précédant un Vivace molto qui clôture avec brio cette sonate inspirée. La fréquentation de Liszt, dont Marie Jaëll a joué en public les œuvres pour piano, et de Saint-Saëns, avec lequel elle prit des cours de composition, a nourri avec bonheur la créativité de cette compositrice de grand talent. La notice de la musicologue Florence Launay rappelle qu’il existe une correspondance chaleureuse entre le maître et son élève. On connaissait déjà cette sonate depuis la gravure des sœurs Lara et Lisa Erbès, parue en 2005 chez Solstice. Ici, le duo Neria, formé depuis 2017 par la pianiste Camille Belin et la violoncelliste Natacha Colmez, en donne une version très engagée, fougueuse et hautement lyrique, qui correspond bien à l’image de force et d’énergie que suggère l’appellation choisie par les partenaires pour leur duo : Neria est en effet la déesse sabine de la force et de la bravoure.

Le reste du programme consiste en premières discographiques. De Louise Héritte-Viardot, fille aînée de Pauline Viardot et nièce de la Malibran, on découvre la Sonate op. 40, qui semble dater de la fin des années 1880 et a été redécouverte à la Bibliothèque nationale de Pologne, alors qu’on la croyait disparue. Louise, sous l’égide de sa mère, a entamé une carrière de chanteuse, interrompue par des soucis de santé.  Elle s’est alors tournée vers la composition, se formant elle-même en lisant des écrits de Berlioz et en recevant des conseils de Gounod. Son opéra Lindoro fut créé à Weimar en 1879. Dans ses Mémoires, elle signale avoir composé plus de trois cents pièces, dont beaucoup sont perdues ou non publiées, mais des mélodies ou des pièces de musique de chambre sont accessibles. Pour de plus amples détails, on se référera au portrait qu’en a dressé Anne-Marie Polome dans les colonnes de Crescendo le 27 janvier 2020. La Sonate qui nous occupe, d’essence typiquement romantique, elle aussi sous influences schumanienne et brahmsienne, bénéficie d’un bel échange poétique entre instruments dans l’Allegro commodo, d’un Andantino à la souple expressivité, d’un Allegretto scherzando dansant, et d’un final qui a des accents opératiques. 

On trouve encore, dans ce programme plaisant, deux œuvres de Hedwige Chrétien, qui étudia au Conservatoire de Paris, notamment avec César Franck pour l’orgue. Sa biographie est peu documentée ; la notice nous apprend qu’elle enseigna le solfège - matière à laquelle elle a consacré un manuel - de 1890 à 1892, au même Conservatoire, après un mariage avec un flûtiste, conclu par un divorce. Hedwige a laissé un catalogue abondant, peu fréquenté, dont une trentaine de partitions de musique de chambre. Les deux pages du programme, le bref Lied (Soir d’automne) et les Trois pièces (Sérénité, Chant du Soir, Chant mystique), concises et de style romantique, datent du début du XXe siècle. L’’écoute en est agréable, avec des accents chauds et poétiques, qui sont, comme le précise la notice, caractéristiques du répertoire des salons de la Belle Époque

Depuis sa création, le label Présence compositrices illustre ses couvertures par de beaux et subtils jeux de mains, qui créent une connivence bienvenue entre compositeurs et interprètes. Dans le cas présent, ces gestes, en volonté de se rejoindre, symbolisent la complicité entre Natacha Colmez et Camille Belin, qui se concrétise à chaque instant. Les sonorités se complètent dans une sensibilité commune, alignant les émotions et les climats dans un même élan. 

Son : 8,5    Notice : 10   Répertoire : 8,5/10    Interprétation : 10

Jean Lacroix            

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