A Genève, Tugan Sokhiev pour la première fois à la tête de l’OSR 

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Pour l’antépénultième concert de la saison 2023-2024, l’Orchestre de la Suisse Romande invite un chef que l’on entend rarement à Genève, Tugan Sokhiev, qui a été durant de longues années directeur musical du Théâtre Bolchoï de Moscou et de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. 

Pour les soirées des 25 et 26 avril, son programme est entièrement consacré à la musique russe et commence par une page magnifique d’Anatol Liadov, Le Lac enchanté, poème symphonique op.62 créé à Saint-Pétersbourg en février 1909. Tugan Sokhiev l’aborde avec une extrême lenteur en créant dans un pianissimo presque imperceptible un climat envoûtant où les cordes miroitent sous les arpèges de harpe et de célesta et les flûtes en étoiles. Peu à peu, l’onde frémit en suscitant une vague du tutti qui n’est que passagère avant de se diluer en un reflux rasséréné.

Intervient ensuite le lauréat du Concours Van Cliburn de 209, Haochen Zhang, jeune pianiste chinois trentenaire qui est le soliste du Troisième Concerto en ut majeur op.26 de Sergey Prokofiev. Répondant au dialogue expressif de la clarinette avec les flûtes et les violons, il impose, dès son entrée en bourrasque, un jeu clair usant parcimonieusement de la pédale de droite et une technique époustouflante qui lui permet de détacher pratiquement ses yeux du clavier. La vélocité rend cinglant le trait sans durcir le son mais cède le pas devant de nostalgiques élans sous-tendant ensuite l’Andantino que les variations dynamisent par l’enchaînement de sauts de tessiture et de traits en octaves ahurissants. Tout aussi stupéfiant, le Final accumulant les accords percutants et les arpèges arachnéens qui font effet sur un public galvanisé par la performance. Le jeune soliste intimidé le remercie par l’un des Préludes du Premier cahier de Claude Debussy, une Fille aux Cheveux de Lin en demi-teintes rêveuses.

En seconde partie, figure l’une des symphonies les moins connues de Dmitri Chostakovitch, la Neuvième en mi bémol majeur op.70, créée à la Philharmonie de Leningrad par Evgeni Mravinski le 3 novembre 1945. Dès les premières mesures de l’Allegro s’impose un persiflage moqueur du piccolo se gaussant des trombones patauds que le violon solo semble rattacher à l’un des tableaux de Nos (Le Nez) créé quinze ans auparavant. Sur pizzicato des cordes graves, clarinette et flûte imprègnent le Moderato d’un désarroi que les violons amplifient jusqu'à un Presto où fanfaronnent tuba et trombones sous les vrilles des bois. Mais le basson narquois lutte contre leurs sarcasmes pour rendre le Largo sobrement tragique. Cependant, ses efforts seront rapidement annihilés par la rodomontade ô combien grotesque du Final. Le public conquis acclame longuement Tugan Sokhiev que l’on retrouvera à la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande au début octobre pour un programme Ravel Saint-Saëns et Rimsky-Korsakov. 

Genève, Victoria Hall, le 25 avril 2024

Crédits photographiques : Patrice Nin

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