A Genève un Sokolov dans un programme mi-figue mi-raisin 

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Depuis de nombreuses années, Grigory Sokolov est l’invité régulier de l’Agence de concerts Caecilia pour sa prestigieuse série ‘Les Grands Interprètes’.  Au fil des saisons, le pianiste décante son jeu de toute virtuosité clinquante pour braquer les feux sur un répertoire marginal où figurent les pages pour clavier de Froberger, Couperin, Rameau, Purcell auxquelles s’ajoutent maintenant celles que William Byrd conçut pour le virginal, le clavecin ou l’orgue dans la seconde moitié du XVIe siècle et les vingt premières années du XVIIe.

A partir d’une chanson populaire, John Come Kiss Me Now, Grigory Sokolov impose un jeu sobre dans une polyphonie broussailleuse dont il s’ingénie à articuler les figures rythmiques tout en l’agrémentant de mordants volontairement acides. Dans une nostalgie triste, il plonge ensuite la Première Pavane suivie de sa Gaillarde en l’ornementant de diminutions et d’acciaccature rapides. La Fantasia tient de la passacaille à deux voix usant de l’accentuation pour contraster le coloris que pimentera une brève Alman (Allemande). La Pavane The Earl of Salisbury est truffée de mordants incisifs que prendront soin d’édulcorer les deux Gaillardes successives. Et c’est par les cinq variations sur la chanson irlando-galloise Callino Casturame que s’achève cette première partie accueillie poliment par un public resté sur sa faim.

En seconde partie, ce même public se montre soulagé en retrouvant Grigory Sokolov dans un Brahms qui a fait sa notoriété. Il commence par les Quatre Ballades op.10 en développant dans la Première (Andante) un cantabile désabusé sur de sombres basses que déchireront des accords à l’arraché puis les triolets en staccato de la main gauche. La Deuxième (Andante) fait chanter la droite en jouant du rubato pour livrer le contrechant des graves, alors que l’Allegro non troppo médian  retient les accords en staccato puis les noires appoggiaturées avant de revenir au motif initial de l’Andante nimbé d’une indicible tristesse par les voix intérieures. L’Intermezzo (Allegro) perd toute agressivité du trait par une volonté de le fluidifier pour l’attirer vers les cimes que le trio irisera comme les sons harmoniques d’un violon, suscitant les demi-teintes qui envelopperont ensuite le da capo du début. L’Andante con moto conclusif déroule une ligne de chant généreusement attachante, tout en se maintenant dans le pianissimo, tandis que le Più lento dégage à peine la mélodie du magma des graves, laissant au Tempo Primo le soin de produire les volate descendantes ailées d’un picchettato legato comme un souvenir heureux.  Par les Deux Rhapsodies op.79 s’achève ce programme. Grigory Sokolov prête à la Première (Agitato) des accents pathétiques qu’il contrebalance par de mystérieuses demi-teintes de la basse, avant d’éclaircir le trio par des élans primesautiers que la reprise du début noiera dans son urgence tragique. La Seconde (Molto appassionato, ma non troppo allegro) livre une progression haletante que la main gauche rendra menaçante mais qu’atténuera sporadiquement une droite suppliante voulant imposer un lyrisme consolateur.

Pour répondre à l’enthousiasme de son public fidèle, Grigory Sokolov concède, comme à l’accoutumée six bis époustouflants, cinq pages de Chopin (Deux Mazurkas, l’Etude op.25 n.2, l’un des Chant polonais transcrit par Liszt et le Prélude n.20 op.28) et l’un des Préludes op.11 d’Alexander Skryabin.

Genève, Victoria Hall, 11 juin 2025

Crédits photographiques : Vico Chamla

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