Walter Weller, explorateur symphonique

Walter Weller. The Decca Legacy. 1970-1982. Livret en anglais. 1 coffret de 20 CD Decca Eloquence. 484 3410.
Decca Eloquence nous propose un coffret reprenant les enregistrements Decca de l’excellent chef d’orchestre Walter Weller (1939-2015). Rien que l’évocation de ce nom nous rappelle avec nostalgie les concerts du chef avec le Belgian National Orchestra dont il fut le Chef principal de 2007 à 2012. En bâtisseur d’orchestre, il remit sur pied l’orchestre avec la très décevante période Mikko Franck. On se souvient de grands concerts dans des symphonies de Dvořák, Brahms et des oeuvres symphoniques de Suk et de Richard Strauss ou encore Pelleas et Melisande de Schönberg.
Walter Weller c’est une vie pour la musique. Son père, également prénommé Walter, est violoniste au Philharmonique de Vienne. Le jeune Walter prend ses premières leçons de violon à six ans et s‘affirme rapidement comme un enfant prodige. À 17 ans, il rentre dans le pupitre des premiers violons du Philharmonique de Vienne avant de devenir, en 1961, à l’âge de 22 ans, violon solo de prestigieuse phalange aux côtés de Willi Boskovsky. Walter Weller reste à ce poste pendant 11 ans. Passionné par la musique de chambre, il fonde en 1958, le Quatuor Weller avec trois de ses collègues des Wiener Philharmoniker. Ils remportent le second prix du Concours ARD en 1959. En 1964, ils signent même un contrat avec Decca et nombre de leurs enregistrements dans les grands classiques du répertoire sont encore des références.
Comme toute carrière de chef, les débuts se font sur une opportunité : en 1966, Karl Bohm est indisposé et Walter Weller le remplace. En 1969, il fait ses débuts dans la fosse du Staatsoper de Vienne pour l'enlèvement au sérail de Mozart. C’est ensuite le temps de ses premiers postes : Directeur musical à Duisbourg en Allemagne, puis en Autriche avec le Niederösterreichischen Tonkünstlerorchester. L’un des pôles de carrière de Weller fut la Grande-Bretagne, il fut chef principal au Royal Liverpool Philharmonic Orchestra (1977-1980), au Royal Philharmonic Orchestra de Londres (1980-1986) et au Royal Scottish National Orchestra (1992-1997) tout en ayant des collaborations régulières avec d'autres orchestres britanniques dont le City of Birmingham Symphony Orchestra avec lequel il enregistra une intégrale des symphonies de Beethoven (Chandos). L’Espagne fut un autre pôle d’activité du chef qui fut chargé de l’Orchestre national d’Espagne et chef invité privilégié de l’Orchestre symphonique de Valence. Pour être complet, il faut mentionner les postes de Walter Weller à Bâle et ses fonctions de chef invité privilégié à Stuttgart et Trondheim. Des postes parfois moins médiatisés, mais qui construisirent la réputation de bâtisseur du chef.
Mais plongeons nous dans ce coffret qui propose des enregistrements Decca. Tout d’abord, ce qui frappe c’est le répertoire proposé car à l’exception d’un album en compagnie de la soprano Pilar Lorengar, des Danses hongroises de Brahms et d’une intégrale des Concertos pour violon de Mozart, l’essentiel de ses enregistrements ne verse pas dans le répertoire autrichien ou allemand, mais vers de la musique russe, hongroise, norvégienne, tchèque et même française.
L’aventure commence, en 1970 un accompagnement orchestral d’un récital de grands airs par la soprano espagnole Pilar Lorengar, on passe des grands airs de Wagner, Weber, Strauss, Korngold, à des airs plus légers de Zeller, Kálmán, Johann Strauss. C’est le seul enregistrement de ce coffret capté à Vienne avec l’orchestre du Staatsoper.
Fort du succès de cet album, Walter Weller se voit confier un enregistrement purement symphonique avec les Symphonies n°1 et n°9 de Chostakovitch avec l’Orchestre de la Suisse romande. Cet album, tombé dans l’oubli, fut victime de la parution simultanée chez CBS d’un enregistrement de Leonard Bernstein avec le New York Philharmonic. La direction de Weller est tranchante et elle s'accommode assez bien des timbres assez verts et du fini instrumental abrasif de l’orchestre genevois. C’est une lecture attachante par un côté assez unilatéral.
Walter Weller reste avec l’OSR pour amorcer une intégrale des symphonies de Rachmaninov. Si la Symphonie n°1 est gravée à Genève, les deux autres symphonies et le poème symphonique le Rocher sont enregistrés à Londres avec le London Philharmonic. Dans le contexte des années 1970, les Symphonies de Rachmaninov ne sont pas autant jouées que maintenant et surtout relativement peu enregistrées. Ainsi, si on se base sur les enregistrements occidentaux, seules les versions d’Eugène Ormandy avec son orchestre de Philadelphie sont alors disponibles. Walter Weller dirige droit devant lui, dans une optique très instrumentale. Sa baguette vise la logique de la musique et le déploiement des thèmes dans un geste qui reste très contrôlé, ça marche mieux avec le LPO qu’avec l’OSR. Des trois symphonies, on apprécie particulièrement la Symphonie n°2, vaillante et conquérante.
Mais le sommet de ce coffret réside dans l’intégrale des Symphonies de Prokofiev avec cette fois le London Symphony Orchestra, intégrale complétée par l’Ouverture russe, la Suite scythe et la suite de l’opéra l’Amour des trois oranges. Cette intégrale, enregistrée dans la seconde partie des années 1970, était alors la première non-soviétique. La puissance des pupitres du LSO et le son Decca font que cette somme reste, près de cinquante ans après les sessions, l’une des grandes références. La mécanique orchestrale est rutilante et vrombissante : stylée et précise dans la Symphonie n°1 ; anguleuse dans les Symphonies n°2 et n°3 ; mélodieuses dans les Symphonies n°4, n°6 et n°6 et explosive dans la Symphonie n°5.
Du côté des grandes réussites, un cycle complet de Ma Patrie de Smetana avec le Philharmonique d'Israël, en 1978. Certes l’orchestre n’a pas le soyeux des timbres des orchestres tchèques, mais il se présente en bloc compact et imposant. Walter Weller travaille cette esthétique du son avec une lecture assez radicale qui met en avant la modernité de l’écriture de Smetana plus que son côté purement narratif. C’est assez impressionnant, inattendu et foncièrement réussi ! En complément de cette intégrale, le tandem fait un sort au poème symphonique Haakon Jarl, qui nous emmène vers la rudesse des paysages norvégiens, toile de fond des aventures de ce héros.
Autre intégrale de ce coffret, celle des Concertos pour violon de Mozart avec la violoniste japonaise Mayumi Fujikawa. Cette dernière, Second prix du Concours Tchaïkovski et triomphatrice du concours Vieuxtemps de Verviers, en 1970, avait été une élève de Leonid Kogan à Nice. Il faut entendre ici intégrale au sens large car outre les cinq concertos pour violon usuels, il y a les 3 Rondos pour violon et orchestre ainsi que deux concertos un temps attribués à Mozart. L’exceptionnelle musicalité de la soliste est le gros atout de cette somme qui ne comporte pas de faiblesse. Le son n’est peut être pas le plus photogénique, mais l’efficacité musicale fait ici le bonheur du mélomane. Le Royal Philharmonic Orchestra est un peu rugueux mais il est dirigé avec souplesse et tact par un chef également violoniste de formation qui respire cette musique. Sans s’imposer comme une référence, cette intégrale est à connaître, ne serait-ce que pour rendre justice à une violoniste bien oubliée.
Enfin, dernière intégrale du coffret : les Concertos pour piano de Béla Bartók avec Pascal Rogé alors jeune star de la Decca. Ici aussi la notion d’intégrale est fort poussée car outre les trois concertos, on peut entendre la très rare Rhapsodie pour piano Op.1. Walter Weller est ici au pupitre du London Symphony Orchestra pour une lecture pugnace et rutilante, qui s'accommode parfaitement du pianiste d’un Pascal Rogé qui cherche le modernisme du compositeur tant dans la Rhapsodie pour piano que dans le Concerto n°3. Là encore, une somme trop oubliée et à connaître.
D’autres enregistrements isolés sont de hauts vols à commencer par un album Dukas avec la fabuleuse Symphonie en ut majeur, un chef d'œuvre bien trop négligé et l'incontournable Apprenti sorcier avec le LPO et des Danses hongroises avec le RPO. On est par contre un peu plus réservés sur les suites du Peer Gynt de Grieg avec ce même RPO un peu trop rugueux de timbre.
Dès lors, difficile de ne pas recommander ce coffret qui offre un panorama passionnant sur l'art de ce grand chef dans de gravures qui comptent dans l’histoire de l’interprétation. La qualité des prises de son Decca et la haute valeur technique et artistique des phalanges convoquées renforcent l’attrait de cette belle boite.
Note globale : 10