A Lausanne, un Turco in Italia étourdissant  

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Pour ouvrir son ultime saison à l’Opéra de Lausanne, Eric Vigié joue le coup d’éclat en présentant Il Turco in Italia de Rossini, bien moins connu que L’Italiana in Algeri qui est souvent pris comme point de comparaison.

Pour cette nouvelle production, il fait appel à Emilio Sagi qui s’entoure de Daniel Blanco pour les décors, Pepa Ojanguren pour les costumes et Eduardo Bravo pour les éclairages. Le rideau se lève sur un quartier populeux de Naples avec une haute façade de maison surplombant une terrasse de bar jouxtant un escalier tortueux côté jardin, de l’autre, un portique en arcade donnant sur la voie du tram. Dans un bruit incessant, le policier à vélo poursuit les ragazzi chapardeurs, alors qu’à grand renfort de klaxon, Donna Fiorilla apparaît sur la moto d’un fringant gigolo échappé du Ieri, oggi e domani de Vittorio de Sica. Zaida la bohémienne et Almanzor, son compagnon d’infortune, se sont assimilés à cette populace bigarrée dont le légendaire farniente est bousculé par ce panneau bleu des mers porté à bout de bras, ouvrant le passage au pacha Selim, potentat à jaquette couleur sable rehaussée d’une pesante chaîne de joyaux, gloussant d’amour comme un coq en chaleur. A peine arrivé, il est confronté à un Don Geronio confit dans son complet-gilet gris maussade et à un Narciso glandeur à la Mastroianni. Paparazzo à l’affût du moindre esclandre, Prosdocimo le poète se faufile partout, quitte à finir dans la bouche d’égout que viennent d’entrouvrir les éboueurs. Tant bien que mal, on l’en sortira pour qu’il parasite le bal nocturne où le quiproquo des tenues similaires lui fait rechercher la vraie Fiorilla, le réel Selim…

Pas une seconde, le spectateur ne s’ennuie, même si le second acte est plus faible que le premier, ce qui est souvent le cas chez Rossini. Car le jeune chef milanais Michele Spotti, nouveau directeur musical de l’Opéra de Marseille, insuffle une vitalité débordante à un Orchestre de Chambre de Lausanne miroitant de mille feux et à un Chœur de l’Opéra de Lausanne (préparé par Antonio Greco) s’adaptant parfaitement à sa dynamique endiablée.

Sur scène, le baryton-basse galicien Luis Cansino qui campe le Turc Selim a la cocasserie d’un Dario Moreno se trémoussant au gré d’innombrables pitreries, tout en négociant les traits d’ornementation de sa ligne vocale qui assouplissent le grain rocailleux du timbre. En Donna Fiorilla, Salome Jicia fait montre d’une virtuosité ébouriffante qui lui permet d’atténuer progressivement la dureté de l’aigu afin de rendre crédible son personnage de racoleuse impénitente. Mais sa grande scena ed aria de l’acte II « Qual colpo ! Ohimè ! che sento ?... Squallida veste e bruna d’affanno » montre bien que son terrain d’élection est davantage l’opera seria que le buffo. Par contre, Don Geronio, son pauvre diable de mari, est campé de main de maître par un Giulio Mastrototaro qui se joue des cascate di parole effrénées tout en laissant affleurer sa bonté naturelle sous sa grogne de cocu berné par l’amant en titre, le Narciso sémillant de Francisco Brito, tenore lirico au timbre clair qui se nasalise dans un aigu serré. Pour une fois, le Prosdocimo du baryton russe Mikhail Timoshenko n’est plus un Don Alfonso en fin de course mais le rédacteur de gazette mondaine qui donne de la voix pour déclencher les renversements de situation. Marion Jacquemet est une Zaida convaincante par la qualité du timbre et la justesse de ses prérogatives, alors que Pablo Plaza campe un Almanzor encore un peu vert dans l’aigu mais sympathique par sa bonhommie. 

Au rideau final, les salves d’applaudissements proclament l’indéniable réussite de cette ouverture qui réjouit tout spectateur qui a eu la chance d’y assister.

Paul-André Demierre

Lausanne, Opéra, le 8 octobre 2023

Crédits photographiques : Jean-Guy Python - Opéra de Lausanne

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